Je suis marié et j’ai deux fils. Quand j’ai commencé ma vie de famille, je travaillais comme chauffeur à la base de construction de Khatam dans la province dévastée par la guerre du sud de l’Iran. Le travail était dur : construire de pistes pour traverser la rivière Karkhe, construire des docks de pierre dans le port de Mahshahr et construire des aqueducs depuis la rivière Karkhe jusqu’à Hamideh à Ahvaz. L’amour de mon pays m’a aidé à supporter l’éloignement de ma famille et je rejetais la tristesse.
Au bout de deux ans, tous les chauffeurs, intérimaires ou permanents, ont été licenciés. En 1997, j’ai rejoint la compagnie des bus de Téhéran ; je travaillais par vacation de 12 heures, de jour comme de nuit, dans les rues les plus embouteillées de la ville. Pendant que je travaillais dans cette unité, avec mes collègues les plus expérimentés et les plus sincères, nous avons essayé d’améliorer et de moderniser nos conditions de travail et tenté d’empêcher la corruption ; la direction nous a répondu en nous humiliant, en nous ridiculisant ; le conseil islamique du travail a agi de même ; mais nous avons continué à demander nos salaires en retard, nos primes, nos uniformes, des conditions de travail moins dures, moins nocives, moins dangereuses ainsi que la fin des contrats temporaires dont certains duraient quatre à cinq ans.
Bien que nous n’ayons pas obtenu satisfaction sur beaucoup de points, que les gens haut-placés nous considéraient comme cupides et ingrats, nous avons continué. La direction nous a menacés de licenciement.
Malheureusement, en 2001, alors que je transportais des passagers, j’ai eu un accident qui a causé un mort. J’ai contacté l’assurance de mon entreprise pour qu’elle m’assiste. Mais après quelques entretiens entre la famille de la personne décédée et l’assurance, la somme que l’on me réclamait est passée de 10 à 18 millions de tomans. Et l’assurance s’est déclarée légalement non-responsable.
Mes plaintes au département du travail n’ont servi à rien jusqu’à ce que les directeurs de la compagnie acceptent de payer la totalité de la somme si je démissionnais. Et comme je n’avais pas une telle somme d’argent, j’ai été obligé de démissionner, ce qui m’a fait perdre mes quatre ans d’ancienneté, sans compter les années de dur travail dans des conditions difficiles. Cela a eu de graves conséquences pour ma famille. Mon épouse, qui était enceinte à l’époque, a fait une dépression nerveuse. Depuis lors, j’ai travaillé avec l’entreprise Transportation and Shipping. Ce secteur appartient au privé, il n’y existe pas de syndicat fort et indépendant et les salaires sont souvent payés en retard et il était donc difficile pour les chauffeurs de joindre les deux bouts. Et nous avons commencé à discuter de la façon dont nous pourrions améliorer nos conditions de travail.
J’ai toujours suivi quatre règles dans ma vie : être fier mon travail, essayer de respecter mes pairs, aimer mon pays et ses habitants et servir la société en élevant mes enfants pour qu’ils puissent lui être utiles.
Au bout d’un an de prison dans les sections 209 et 350, sans rien savoir de mon sort, j’ai été condamné à cinq ans de prison par la 15ème chambre du tribunal révolutionnaire présidée par le juge Salavati. En quelques minutes, j’ai été accusé d’être « une menace pour la sécurité nationale » ; je n’ai pas eu le droit d’être représenté par un avocat. J’ai porté objection sur la procédure, mais ni moi ni ma famille n’avons pu voir le dossier ou les chefs d’accusation, encore moins les étudier.
J’ai été condamné sur des accusations sans fondement à cinq ans ; j’en avais déjà effectué deux en préventive. Qu’ai-je fait contre la sécurité nationale ? Je ne suis affilié à aucun parti politique, à aucun groupe ou organisation et toutes mes actions étaient légales et se rapportaient à la défense des travailleurs. Le seul crime que j’ai commis était la revendication des droits des travailleurs et de leurs syndicats ; nous arrêter ne nous empêchera pas de revendiquer nos droits. Il est nécessaire de créer des syndicats légitimes, indépendants avec des droits légaux en accord avec le ministère du travail pour améliorer la sécurité de l’emploi, améliorer les salaires en les indexant sur l’inflation, lutter contre le paiement en retard des salaires, pour des contrats permanents entre travailleur et employeur, pour une sécurité sociale nationale, pour la couverture des travailleurs par une assurance, pour l’arrêt de la privatisation du secteur du transport terrestre et maritime, beaucoup d'entreprises sont déjà privatisées, pour mettre fin à l’exploitation des travailleurs par les employeurs. Si les forces de sécurité et le ministère des transports s’occupent de ces sujets, le secteur du commerce se conformera à la loi. Si ces lois sont appliquées, ce sera tout bénéfice pour la sécurité publique, la productivité augmentera et l’industrie dans son ensemble sera plus profitable. Mon crime et celui d’autres, semblable à moi est d’avoir parlé et reparlé de ce sujet.
On discute de ce sujet entre chauffeurs et travailleurs et même avec certains dirigeants du transport, honnêtes et compétents.
Tous ces problèmes devraient être portés devant la Fédération Internationale des Travailleurs des Transports (ITF) et aussi devant l’Organisation Internationale du Travail (ILO) qui nous a toujours prêté une oreille attentive et a soutenu ses frères dans le monde entier, qui comprend nos peines et nos souffrances. Nous voulons qu’ils portent ces problèmes devant les instances internationales ainsi que devant les organisations qui défendent les droits humains. Nous voulons que tous les travailleurs, surtout ceux du secteur des transports, entendent comment tant de travailleurs ont été condamnés injustement et illégalement. Nous voulons que vous fassions savoir comment, dans notre pays, nous n’avons aucun droit des travailleurs, aucun droit humain, comment, pour la plus petite plainte sur nos conditions de travail, nous sommes injustement et illégalement sévèrement torturés et emprisonnés.
Dans l’espoir de lendemains qui chantent pour tous,
Afshin Osanlou,
7 août 2012,
prison de Redjaï Shahr, Iran