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Echo d'Iran N° 10, 2009-12-01,

 

La lettre d'adieu  d’Ehsan Fattahian, un Kurde militant et réalisateur de film

 

Le 11 novembre 2009, Ehsan Fattahian, un jeune Kurde militant, réalisateur de film et prisonnier politique a ‎été exécuté dans la ville de Sanandaj, Iran. Il avait été arrêté en juillet 2008 et emprisonné pour son ‎association avec Komalah, un groupe d'opposition Kurde. Ehsan, un poète s’est fait une réputation avec la ‎réalisation d’un film basé sur la célèbre chanson révolutionnaire italienne (Bella Ciao). En dépit de vastes ‎protestations tant à l'intérieur et qu’à l’extérieur de l'Iran, le régime l’a exécuté très rapidement. A présent ‎une quinzaine de prisonniers politiques Kurdes sont dans les couloirs de la mort du régime et attendent leur ‎tour‎

 Nous présentons ci-dessous la traduction en français de la lettre adieu d’Ehsan.

 

 

La lettre d'adieu d'Ehsan Fattahian‎

 

 Les derniers rayons du coucher du soleil ‎
me montrent le chemin sur lequel je veux écrire

Le bruit des feuilles sous mes pieds ‎
me dit : Laisses-toi tomber ‎
et alors seulement tu trouveras le chemin de la liberté / ‎

Je n'ai jamais eu peur de la mort, même maintenant que je la sens plus proche de moi. Je peux la sentir et ‎je suis familiarisé avec elle, parce qu'elle est une vieille connaissance de cette terre, de ce pays et de ces ‎peuples. Je ne veux pas parler de la mort mais des raisons de la mort, alors qu’ils l'ont traduite comme la ‎récompense de la justice et de la liberté. Peut-on avoir peur de l’avenir, du destin ? « Nous » qui avons été ‎condamnés à mort par « eux », nous nous efforcions de trouver une petite ouverture vers un monde ‎meilleur et juste. Sont-ils conscients de leurs propres actes ?‎

Ma vie a commencé dans la ville de Kermanshah, une grande ville aux yeux de mes compatriotes, le ‎berceau de notre civilisation. Très tôt, dès mon enfance, j'ai ressenti la discrimination et l'oppression au ‎plus profond de mon existence, envers moi et envers des milliers d’autres comme moi. Cette cruauté, le ‎‎« pourquoi » de cette cruauté et le « comment » s’en débarrasser occupaient toute ma pensée !‎

 Mais hélas, ils avaient bloqué tous les chemins à la justice et avaient rendu l'atmosphère si répressive que ‎je n'ai trouvé aucune manière de changer des choses de l'intérieur. C’est eux qui m’ont imposé un autre ‎horizon: c’est ainsi que je suis devenu le « peshmerga (partisan) de Koomaleh, ». La quête de l'identité ‎dont on m'a privé et le désir de me retrouver m’ont poussé dans cette voie. Le départ du pays natal a été ‎très difficile mais il ne m'a jamais incité à rompre le lien avec ma ville d'enfance. De temps à autre je ‎retournais à mon premier chez moi pour me rafraichir la mémoire. La dernière visite était plein d’aigreur et ‎‎«Ils » m’ont arrêté et enfermé dans une cage. Dès le premier contact avec mes geôliers et au travers de ‎leur hospitalité je me suis rendu compte que le destin tragique de mes nombreux compagnons m'attendait ‎également : la torture, les accusations non fondées, la fabrication de fausses pièces à convictions, ‎l’audition à huis clos et finalement un verdict injuste et influencé politiquement, la mort…‎

 Laissez-moi vous raconter au passage : après mon arrestation dans la ville de Kamyaran et je suis resté ‎pendant quelques heures menotté et obligé de porter un bandeau pour m’empêcher de voir, comme ‎‎« invité » du bureau de renseignement général de la ville, avec interdiction de visite. Une personne qui s'est ‎présentée en tant que procureur a commencé à m’interroger en posant une série de questions insensées ‎qui n’étaient que de fausses accusations (je devrais préciser que, selon la loi, l’interrogation juridique des ‎accusés hors du tribunal est formellement interdite). C'était le premier de mes nombreux interrogatoires. La ‎même nuit j'ai été transféré au bureau de renseignement de la ville de Sanandaj, la capitale de la province ‎du Kurdistan. C’est ici qu’on m'a traité comme invité d’honneur !‎

 Une cellule sale avec une toilette infecte et des couvertures qui n'avaient pas probablement vu l'eau depuis ‎des décennies ! A partir de ce moment mes jours et mes nuits se sont passés entre les bureaux ‎d'interrogatoire et cette cellule subissant des tortures et des sévices extrêmes. Durant trois mois mes ‎interrogateurs, espérant probablement une promotion ou une minable récompense pécuniaire, m'ont ‎accusé de toutes sortes d’accusations étranges et fausses, qu'ils savaient mieux que quiconque fausses et ‎non fondées. Ils ont tout essayé pour démontrer que j'ai été impliqué dans une tentative armée pour ‎renverser le régime. En fait, les seules charges qu’ils pouvaient prouver c’étaient mon adhésion au ‎Komalah et faire de la propagande contre le régime. La première chambre du tribunal de la ville de ‎Sanandaj m'a trouvé coupable de ces charges et m'a condamné à 10 ans de prison à purger dans la prison ‎de Ramhormoz.‎

 La structure politique et administrative du régime souffre toujours de la maladie de centralisation excessive, ‎mais pour mon cas ils ont essayé de réparer ce défaut ! Récemment ils ont transféré tous les pouvoirs ‎juridiques aux tribunaux de province, y compris celui de prononcer la peine capitale, ce qui était jusqu’à ‎maintenant du ressort de la cour suprême.‎

Cette nouvelle décentralisation a donné l’opportunité au procureur de la petite ville de Kamyaran de faire ‎appel du verdict du premier procès et d'exiger ma tète. Finalement la cour d'appel du Kurdistan a changé le ‎premier verdict de 10 ans d’emprisonnement en peine de mort.‎

Selon l’Article 258 du Code pénal, une cour d'appel peut renforcer la peine initiale seulement dans le cas ‎où le verdict initial est inférieur à la peine minimale prévue par la loi pour le crime concerné. Dans mon cas, ‎selon la réquisition du procureur général mon crime était « animosité avec Dieu », passible d'un an ‎d’emprisonnement. Même les dix ans prononcés par premier tribunal sont déjà bien loin de la peine prévue ‎par la loi. Je vous laisse de deviner le déroulement de mon procès et le degré de l’impartialité de la justice ‎dans mon pays en comparant le verdict de peine de mort et ce que la loi prévoit.‎

Je dois ajouter qu’entre deux procès on m’a transféré au bureau de renseignement général de Sanandaj. ‎Juste avant le deuxième procès ils ont demandé à filmer une entrevue dans laquelle je devais reconnaitre ‎les crimes que je n’ai jamais commis, et renoncer à toutes mes idées. Ils ont bien précisé qu’en cas de ‎refus la peine de mort m’attendait. En dépit des tortures physiques et morales et de menaces de mort, je ‎n'ai pas accepté de faire cette confession filmée pour leur future show-télé. La partie était jouée. Peu après, ‎la cour d’appel joue le jeu des hommes du pouvoir : la terreur. Ainsi devraient-ils être blâmés ?‎

Un juge jure de rester juste et impartial en toutes circonstances, envers tous et de ne regarder le monde ‎qu’a travers la loi. Quel juge, sur cette terre, peut prétendre n'avoir jamais violé son serment et avoir ‎toujours été impartial, équitable et juste ? À mon avis le nombre de tels juges ne dépasse pas de celui des ‎doigts de la main. Dans ce pays où sur un signe d'un simple policier (sans la moindre connaissance du délit ‎et de la loi), le système judiciaire peut faire arrêter, juger, emprisonner et exécuter des gens, peut-on ‎vraiment en vouloir à un misérable juge de province, lui-même toujours réprimé et victime de la ‎discrimination ? A mauvaises fondations, mauvais bâtiment !‎

Pendant ma dernière confrontation, le procureur a bien admis que la sentence de peine de mort n’avait pas ‎de base légale, on m'a notifié pour la deuxième fois mon exécution. Inutile de dire que cette insistance ‎absurde à appliquer la peine de mort, coûte que coûte, est due à des pressions extérieures au système ‎judiciaire, notamment des forces politiques et de sécurité.

 Pour ces gens-là la vie et la mort des prisonniers politiques ne sont qu’un facteur déterminant le montant ‎des primes de fin de mois qu’ils toucheront. À leurs yeux, rien d’autre n’importe que leurs propres intérêts, ‎même s’il s’agit du droit le plus élémentaire des êtres humains : le droit de vivre. Oubliées les lois et les ‎conventions internationales, ils se moquent complètement même de leurs propres lois et procédures‎.

Voici mes derniers mots : si ces régnants et ces oppresseurs pensent que ma mort les débarrassera de la ‎‎« question du Kurdistan », qu'ils se disent que ce n’est qu'une illusion. Ni ma mort ni la mort de milliers ‎d'hommes comme moi ne seront le remède à cette blessure incurable et peut-être alimenteront-elles même ‎le feu. Pour un ami qui tombe un autre s’élève !‎

Ehsan Fattahian
Prison central de Sanandaj, Iran
9 novembre 2009

 

 

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