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‎«J’ai le devoir de parler des viols»‎

 

Libération: Brisant un tabou, l’Iranien Ibrahim Mehtari raconte sa détention, en août, les violences et ‎humiliations subies pour avoir défié le régime.‎

 C’est l’un des tout premiers récits sur ce qui demeure un tabou absolu en Iran : le viol de manifestants et ‎d’opposants dans les centres de détention. Ce que Mehdi Karoubi, l’un des trois principaux chefs de file de ‎l’opposition, avait brusquement révélé fin juillet, s’attirant des menaces de mort, des insultes et des poursuites ‎judiciaires de la part du régime islamique, un jeune journaliste de 27 ans vient de le confirmer. Battu pendant ‎cinq jours, Ibrahim Mehtari a aussi été violé par l’un de ses tortionnaires qui, précise-t-il, s’est servi d’un bâton. ‎C’est sous son propre nom qu’il a raconté à Libération sa terrible captivité qu’il a vécue les yeux bandés. Il a ‎montré des photos qui témoignent des coups reçus, y compris les violences sexuelles‎.

 A peine avait-il commencé à raconter que son ami, un autre journaliste, a préféré quitter la pièce. «Vous voyez, ‎insiste Ibrahim Mehtari, dès que l’on parle de viol, il préfère s’en aller. Pourtant, il faut en parler. Ce que fait ‎aussi un autre journaliste, Ibrahim Sharefi. Il ne faut pas avoir honte. Bien sûr, j’ai reçu des pressions, y ‎compris de ma famille qui pense que c’est honteux. C’est ce régime, qui croit obéir à des valeurs sacrées, qui ‎devrait avoir honte de violer ceux qu’il fait arrêter. Pas moi. C’est un devoir d’en parler.»‎

‎«Sans penser faire du mal». C’est le 20 août qu’Ibrahim Mehtari, qui écrivait alors sur un blog collectif qu’il ‎préfère ne pas nommer, est kidnappé dans une rue de Téhéran par des inconnus. Il reconnaît en eux des agents ‎des services de sécurité des Pasdaran (les Gardiens de la révolution). Fin juillet, il avait déjà été arrêté et détenu ‎pendant neuf jours dans une caserne militaire‎.‎ «Les interrogatoires étaient intenses mais pas brutaux», dit-il. Cette fois, ce sera très différent. ‎D’abord, on lui bande les yeux et on le conduit en voiture dans un centre de détention secret.‎

‎. «Aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas pourquoi on m’a enlevé. Est-ce à cause des informations sur les ‎fraudes au scrutin présidentiel du 12 juin que je diffusais sur le blog ? Ou est-ce parce qu’ils [les tortionnaires, ‎ndlr] avaient obtenu des aveux à mon encontre que leur auraient fait d’autres prisonniers ?» se demande-t-il.‎

 Les tortures sont essentiellement des coups de câble et de bâton électrique, des brûlures de cigarettes sur le dos, ‎les bras, le crâne. «Ils épargnaient mon visage», précise-t-il. Ce que les kidnappeurs veulent avant tout lui faire ‎avouer, c’est qu’il est membre de l’Organisation des moudjahidin de la révolution islamique, un des partis ‎‎«réformateurs» (après avoir été l’un des plus radicaux à l’époque de l’imam Khomeiny). «Ceux qui m’ont ‎enlevé n’étaient pas de simples miliciens de rue, mais venaient du quartier général. Je le sais parce qu’ils ‎avaient examiné mes mails et Facebook, trouvé une photo où je suis au côté de Romano Prodi [l’ancien ‎président du Conseil italien] lors de son voyage en Iran», raconte le jeune homme qui s’est réfugié ‎dernièrement en France.

‎Ceux qui le frappent, Ibrahim Mehtari les décrit comme «des robots qui ne pensent pas à ce qu’ils font» :«Une ‎fois que l’un d’eux me battait, son portable s’est mis à sonner. C’était sa femme qui l’appelait ; et tout en ‎continuant ses coups, il discutait avec elle de ce qu’ils allaient manger. Ces gens-là tuent mais sans penser ‎faire du mal.» Une autre fois, le sang du journaliste gicle et éclabousse la chemise de son geôlier peu avant la ‎prière. «Ce qui l’offensait, c’est d’aller prier avec un vêtement taché et non pas de me torturer juste avant», ‎remarque encore Ibrahim Mehtari. «Les instructions, ajoute-t-il, que les Pasdaran ont reçues, c’est qu’il y a une ‎révolution verte [le vert est la couleur de l’opposition, ndlr] en cours et qu’il faut tout faire pour la contrer. Les ‎commandants des Pasdaran pensent que nous sommes comme les juifs à l’époque de Mahomet, qu’il faut nous ‎déchirer pour ne pas nous laisser attaquer la République islamique.» Et de citer Said Ghacemi, un ‎commandant du corps des Pasdaran, s’adressant à ses officiers : «S’ils ne veulent pas parler, emmenez-les dans ‎un endroit désert, là, ils chanteront comme des canaris.»‎

 Certificat. Le neuvième jour, le prisonnier tombe inanimé sous les coups. Selon lui, ces tortionnaires le croient ‎alors mort et déposent son corps sur le boulevard Farazadi, à la périphérie de Téhéran. C’est là qu’un couple le ‎découvre inconscient, les vêtements complètement déchirés, et prévient la police. Comme les médecins et les ‎policiers pensent qu’il a été attaqué par des voyous, il obtient un certificat médical qui atteste du viol et des ‎coups qu’il a subis. «Ils avaient l’intention de me tuer. Même la police et le médecin pensaient que j’étais mort. ‎J’avais des hémorragies sur tout le corps. Je ne savais plus où j’étais…»‎

 La question des viols avait été pour la première fois soulevée, le 29 juillet, par Mehdi Karoubi dans une lettre à ‎l’ancien président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, qui dirige deux institutions clés du régime. «Un certain ‎nombre de personnes arrêtées ont affirmé que des jeunes femmes et de jeunes hommes avaient été sauvagement ‎violés», avait-il accusé. Quelques jours auparavant, il avait dénoncé, dans une autre lettre, l’arbitraire des ‎services secrets - les qualifiant d’«outil le plus opaque et terrifiant qui soit» - et «les centres de détentions ‎illégaux». La mouvance radicale l’avait aussitôt accusé d’être un menteur, exigeant qu’il soit arrêté et puni de ‎‎80 coups de fouet. Le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, avait cependant décidé la fermeture du plus ‎terrible centre de détention clandestin, celui de Kahrizak (Libération du 18 novembre), où les tortures et peut-‎être même les viols étaient fréquents.‎

 A Téhéran, le procureur général (et ancien ministre des Renseignements), le religieux Gholam Hossein ‎Mohseni-Ejei, a affirmé que les amis politiques de Ibrahim Mehtari étaient responsables de ce qui lui est arrivé. ‎Le journaliste, lui, essaye de vivre avec ce qu’il a enduré mais sans vouloir pour autant oublier : «A cause de ce ‎que j’ai vécu, j’ai compris ce qu’il s’est passé pendant les années de plomb que furent les années 80. Les ‎crimes commis aujourd’hui sont les mêmes que ceux que la République islamique commettait hier. La ‎République islamique est connue dans le monde pour les valeurs qu’elle représente alors que celles-ci sont ‎fausses. C’est pour cela que les victimes ne doivent jamais garder le silence.»‎

 

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