
La violence du régime iranien n'a pas empêché la
mobilisation populaire de s'étendre et de
s'approfondir depuis la réélection truquée
d'Ahmadinejad, le 12 juin 2009.
Avec une surprenante régularité, la population
détourne chaque commémoration officielle et la
transforme en journée de protestation contre le
régime. Ainsi, le 27 décembre dernier, lors de
la journée de l'Achoura1, l'ensemble du pays a
connu une vague de mobilisation immense. À de
nombreuses occasions, les bassidji et les
voltigeurs ont dû fuir face aux manifestants.
Certains quartiers de Téhéran et de Tabriz ont
échappé pendant des heures durant au contrôle du
régime. Plus de mille personnes ont été arrêtées
suite aux dernières manifestations et au moins
36 personnes ont été tuées. Depuis, le pouvoir
multiplie les arrestations et ses nervis ont
même attaqué des mosquées pour en déloger des
religieux favorables au candidat Moussavi.
L'ampleur de la résistance populaire divise
désormais le clan au pouvoir qui s'articule
autour du Guide Khameneï, du Sepah et
d'Ahmadinejad. Trois positions s'y dessinent. La
plus forte aujourd'hui entend écraser la
mobilisation dans le sang. Une autre voudrait
trouver un terrain d'entente avec Moussavi et
enrayer la dynamique jugée périlleuse. La
troisième, incarnée par le Guide, fait la
balance entre les deux précédentes. Les hauts
commandants des pasdaran ont opté pour la
confrontation mais sont pour le moment freinés
par les divisions internes au pouvoir. Car les
tenants du régime le savent : écraser le
mouvement dans le sang soulèverait l'hostilité
totale de l'immense majorité et fermerait
définitivement la porte à un éventuel compromis
avec les dirigeants «verts» ou à «l'émergence»
d'un homme providentiel. Enfin, cela accroîtrait
les divisions au sein du pouvoir et des forces
répressives, ce qui rend hypothétique
l'instauration de la loi martiale. L'ensemble de
ces conséquences pousse, pour le moment, les
dirigeants actuels à une certaine prudence.
C'est dans ce contexte que Moussavi donne ses
cinq points pour une sortie de crise. Il exige
la libération des prisonniers politiques et
réclame des élections démocratiques et libres,
mais n'en définit ni les conditions ni le
périmètre. En somme, il propose d'en rester au
cadre de la République islamique qui a banni
toutes les forces laïques, démocratiques ou de
gauche. Ce qui exclut toutes les organisations
jugées hostiles à l'Islam et à la République
islamique. Moussavi se limite ainsi à un
changement de gouvernement et à la destitution
d'Ahmadinejad. Face à cela, la crainte d'un
accord au sommet entre les différentes factions
est grande.
Dans ce contexte, nombre de militants ouvriers
et de gauche tentent de lier au mouvement actuel
leur lutte contre le non-paiement des salaires,
contre les privatisations ou les licenciements
et pour la construction de syndicats
indépendants. C'est le cas, notamment, des
travailleurs d'Iran Khodro (première entreprise
de construction automobile) ou du syndicat du
Sherkat-e Vahed (transport en commun de Téhéran)
qui appellent les salariés à descendre dans la
rue. Ces militants, tout en développant là où
ils le peuvent une politique indépendante,
tentent de maintenir les dirigeants «verts»
prisonniers de la dynamique de mobilisation.
L'équation est limpide : tant que la division
entre le camp «vert» et le Sepah n'est pas
résorbée, les opposants au régime pourront agir
au travers des manifestations et le mouvement
pourra se développer et se structurer
politiquement. Face au clan Khameneï-Ahmadinejad
et pour garder une indépendance totale à l'égard
des dirigeants «verts», l'objectif principal des
militants de gauche reste l'extension et
l'ancrage du mouvement.
Les peuples d'Iran ne peuvent compter que sur
leur propre lutte. Plus que jamais, ils doivent
pouvoir s'appuyer sur la solidarité
internationale émanant des forces de la gauche
sociale et politique.
1. Journée de commémoration de l'assassinat à
Karbala de l'imam Hossein.