Du fait de son régime politique despotique,
d'une rare violence, et par la nature rétrograde des
lois islamiques qui la régente, la société iranienne
dans son ensemble est souvent présentée comme une
société pré-moderne, vision assez répandue qui
laisse à penser que son développement serait
conditionné à une transition démocratique.
Du coup, le discours de l'opposition libérale, qui
accorde à la question de la modernité une place
centrale dans le débat politique, tend à se faire
entendre et à trouver un certain soutien à
l'extérieur. Et pourtant, les données économiques et
sociologiques viennent contester cette
représentation d'une société « traditionnelle et
archaïque » que les dignitaires religieux font
véhiculer, et qui contribue à mettre en relief la
critique libérale.
Un pays moderne
La réforme agraire du début des années 1960 fit
passer pleinement le pays à l'économie capitaliste.
L'exode rural, qui a explosé à cette époque, n'a
jamais cessé de croître jusqu'à aujourd'hui où le
taux d'urbanisation dépasse 75 %. Six grandes villes
comptent plus d'un million d'habitants. Téhéran, la
capitale, en recense plus de 8 millions. Le faible
développement de l'industrie n'empêche pas le PIB
par habitant (PPA) d'être estimé à 11 570 dollars en
2009 (à titre de comparaison, la même année le PPA
est de 33 349 dollars en France et de 5 933 dollars
en Égypte). La pyramide des âges montre une
population très jeune composée à plus de 70 % de
moins de 35 ans. Le taux d'alphabétisation y est
supérieur à 80 %. En dépit de la ségrégation
sexuelle et des lois répressives et inégalitaires
qui frappent les femmes en Iran, la nouvelle
génération de femmes assure une présence remarquable
dans les études supérieures où elles sont
majoritaires, à contre-tendance d'un marché du
travail largement masculin.
Un système inégalitaire
Les disparités de revenu sont très contrastées. Le
coefficient de Gini, qui mesure le degré d'inégalité
dans la distribution des revenus, avoisinait les
40 % en 2005 (contre 33 % en France à la même
époque). Depuis, la crise économique et les
sanctions internationales n'ont fait qu'accroître la
misère des plus démunis. Le revenu minimum,
équivalent du smic, est fixé au tiers du seuil de
pauvreté, et le code du travail ouvrant le droit à
la sécurité sociale, n'est appliqué que dans les
entreprises qui emploient plus de 10 salariés
(seulement 20 % de l'ensemble des travailleurs sont
embauchés dans des entreprises ayant plus de 20
salariés). Des régions entières de province sont
maintenues dans un état de pauvreté extrême. Dans un
pays qui compte environ 12 millions d'enfants en âge
d'être scolarisés, 3 millions d'entre eux se
retrouvent à errer dans les rues. Certains
travaillent temporairement pour contribuer au revenu
familial, d'autres sont véritablement livrés à eux
même.
Une nécessaire révolution sociale
Ces facteurs sociologiques et économiques témoignent
du fait que l'acte majeur que doit accomplir la
société iranienne n'est pas une transition vers la
modernité, mais bien une révolution sociale. Il y a
des décennies que la société iranienne a fait son
entrée dans l'ère moderne. L'urbanisation,
l'élargissement de l'éducation, le changement de la
structure familiale se sont accomplis sans que ces
évolutions dans la société n'aient été accompagnées
d'une démocratisation et d'une laïcisation de la
structure politique. Ces évolutions se sont même
produites sous une dictature des plus féroces. Plus
généralement, avec l'essor du néo-libéralisme, les
modèles de développement qui valorisaient la
démocratie ont été refoulés au profit d'un modèle
d'État autoritaire jugé nécessaire au développement
économique et à la modernité. Le discours selon
lequel la modernité est une unité organique
combinant économie de marché, démocratie et laïcité,
et rationalisme, a volé en éclat.
Autoritarisme politique et fondamentalisme
traditionnel sont aujourd'hui les gardiens de
l'économie de marché. La République islamique fut
l'État dont le capital a eu besoin, à une période de
son développement, pour faire face aux tremblements
sociaux-politiques, et l'islam le récipient
idéologique de toutes les politiques garantes du
fonctionnement du capitalisme en Iran : préserver la
propriété privée et maintenir l'ordre social,
réprimer les travailleurs en lutte et éliminer les
communistes hérétiques. Pour se débarrasser de ce
régime meurtrier qui s'est installé dans la durée,
la révolution sociale demeure la seule alternative
possible.
Ladan Afra