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IRAN
LE MOUVEMENT OUVRIER IRANIEN
et
La révolution Iranienne
Publié par :
Solitarité avec les Travailleurs en, Iran
(S.T.T.I.)
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1. Avant-propos
La Solidarité Socialiste avec les Travailleurs en Iran (SSTI) est une campagne de masse qui ne peut, par sa nature même, se prononcer sur telle ou telle analyse politique détaillée de la situation en Iran, au-delà des principes exprimés dans sa plate-forme.
Les bulletins d’information publiés par son comité directeur, y compris la présente brochure, ne peuvent donc être considérés comme totalement représentatifs des opinions des individus et des tendances qui participent à cette campagne. Ils ne sont publiés qu’à titre d’informations sur les problèmes autour desquels sont organisées nos activités.
Bien que la publication de ces bulletins s’inscrive dans le cadre général de notre campagne, les positions qui y sont défendues le sont sous l’entière responsabilité de leurs auteurs.
Nous vous invitons à nous faire-part de vos commentaires et suggestions sur le contenu de ces brochures. Nous les transmettrons avec plaisir aux auteurs si vous le souhaitez ou si cela s’avère indispensable.
* * *
Cette brochure est consacrée à la situation de la classe ouvrière en Iran. L’auteur a suivi de près, l’évolution du mouvement ouvrier de ces dernières années et fait la lumière sur bon nombre de problèmes auxquels sont confrontés les ouvriers iraniens qui restent à l’avant-garde des luttes en Iran malgré la répression sauvage du régime islamique. Nous espérons que ceux qui nous ont aidé dans notre campagne contre le régime y trouveront des informations utiles et y verront un témoignage de l’importance de leur aide et de leur solidarité.
La Solidarité avec les Travailleurs en Iran s’efforce de mettre l’accent sur la situation du mouvement ouvrier en Iran et consacre la plus grande partie de ses efforts à développer des liens de solidarité avec le mouvement ouvrier démocratique français. L’auteur de la brochure y explique à juste titre en quoi il est important qu’une délégation internationale obtienne du régime islamique de pouvoir visiter l’Iran pour y faire le point sur le respect des droits des travailleurs dans ce pays. Nous approuvons tout à fait ce point de vue et nous efforçons d’obtenir l’envoi d’une telle délégation nous demandons pour cela le soutien de tous.
Vous pouvez nous aider en faisant voter par votre syndicat une condamnation de la répression en Iran et le soutien à cette revendication. Faites-nous parvenir la copie des résolutions ainsi votées. Vous pouvez aussi faire parvenir des lettres de protestation à l’Ambassade iranienne à Paris. Votre adhésion ou mieux encore celle de vos organisations syndicales nous serait bien évidemment du plus grand secours.
Vous savez tous que, malgré les apparences, un certain nombre de gouvernements, dont ceux des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, apportent aide et soutien au régime réactionnaire et clérical ces mollahs en Iran. Aidez-nous à dénoncer ce fait. Faites-nous connaître toutes les informations qui pourraient, vous parvenir concernant l’envoi d’armes ou de tous autres matériels au régime iranien.
Il va sans dire que notre campagne a aussi besoin de
soutiens financiers pour continuer et pour étendre son
action. Tout soutien matériel que vous pourrez nous
apporter sera très apprécié.
2. L'éxperience du passé;
Le mouvement ouvrier a plus de 90 ans d’existence en Iran. Il a joué un rôle important dans l’historique du pays. Dès 1920, les travailleurs ont lancé le mot d’ordre de la journée de travail de 8 heures. En 1922, le 1er mai a été célébré pour la première fois. Depuis l’arrivée au pouvoir de Réza Chah (en 1925) jusqu’à son abdication du trône par les Alliées en 1941, le mouvement ouvrier traversa une période de clandestinité
Pendant le soulèvement révolutionnaire qui suivit l’occupation Alliée de l’Iran et la chute de la dictature de Réza Chah ver le début de la Seconde Guerre mondiale (en août 1941), une vague de luttes et de grèves aboutirent à la formation d’une première Confédération Syndicale, qui regroupa à un moment 250 000 membres.
La direction de ce mouvement était cependant entre les mains du parti Toudéh. Le parti créé pour promouvoir la politique Soviétique d’alliance avec l’impérialisme britannique, destinée à faire pièce à l’influence américaine dans la région, le parti Toudéh participa à une coalition gouvernementale pro-britannique sous la direction de Ghavam et se servit de son influence pour mettre fin à la vague de grèves (en particulier dans l’industrie pétrolière). Cela non seulement désorienta le mouvement ouvrier naissant, mais encore permit à un groupe de politiciens nationalistes regroupés autour de Mossadegh de prendre la tète du mouvement de masse qui se développait rapidement en opposition à la domination britannique.
La suite est du domaine de l’histoire. Le coup d’Etat d’août 1953 impulsé par la C.I.A. ramena le Chah sur le trône et contraignit de nouveau le mouvement ouvrier à la clandestinité. Ce mouvement, en permanence détourné de ses tâches par la direction nationaliste bourgeoise et dans l’incapacité de construire une organisation indépendante ou de se mobiliser autour de revendications, se retrouva pieds et poings liés. En fait, il n’avait pas du tout été préparé à la situation.
Grâce aussi à la répression féroce, et au soutien en armes et argent des U.S.A. ainsi qu’aux revenus considérables amenés par le pétrole, le Chah ressuscité mit sur pied un Etat policier tout-puissant qui écrasa toute forme d’opposition, y compris, et surtout le mouvement ouvrier. Une répression sanglante s’abattit sur le pays. Durant plus de 25 ans, les organisations de la classe ouvrière sont interdites. La lutte clandestine continue.
Durant les nombreuses années qui suivirent, il n’y eut pas d’organisations ouvrières de quelque influence que ce soit, mais l’importance numérique et économique de la classe ouvrière, elle, s’accrut avec le développement spectaculaire de l’industrie. Vers le milieu des années 70, la classe ouvrière iranienne était environ trois fois plus nombreuse qu’à la fin des années 40. Elle comptait plus 3 millions de travailleurs. Environ un tiers d’entre eux était concentré dans de très grosses usines implantées dans la plupart des grandes villes du pays. Principalement dans la capitale Téhéran qui en comptait plus de la moitié.
D’un autre côté, la catégorie la plus nombreuse était constituée par les travailleurs du bâtiment sans emploi stable. Ils formaient une couche d’ouvriers actifs sur le plan politique, mais sans grand pouvoir économique et dépourvus de discipline ou de cohésion - à l’échelle de l’industrie du bâtiment. Ils se fondaient dans la masse pauvre des villes. Ces points forts comme ces faiblesses allaient marquer fortement la nouvelle montée du mouvement ouvrier.
De nombreux secteurs de la classe ouvrière se sont alors facilement intégrés à de grandes luttes, mais ils furent aussi facilement dispersés et démoralisés, en particulier dans le contexte qui était celui d’une crise économique, et en l’absence d’organisations ouvrières fortes et unies.
La combinaison d’une croissance économique rapide et d’un régime autoritaire empêcha la renaissance d’organisations ouvrières indépendantes. Les soi-disant syndicats ouvriers autorisés n’étaient que des structures corporatistes entièrement contrôlées par le Ministère du Travail. La vie quotidienne des travailleurs à l’usine était étroitement surveillée par les prétendues « Comités de Protection des travailleurs » dirigés et contrôlés par la Savak, la police secrète. Il y avait, en conséquence, bien peu d’organisations ouvrières. Le centre des activités dirigées contre le régime avait définitivement quitté le terrain du mouvement ouvrier.
3. La naissance du nouveau mouvement ouvrier
La situation politique en Iran commença à changer vraiment en 1975-76 quand le système de croissance mis en place par le Chah (subventions importantes aux riches et injection massive de revenus pétroliers) s’effondra sous le poids de ses contradictions internes.
L’industrialisation dirigée par le Chah ne pouvait plus absorber le nombre croissant de petits producteurs ruinés, de travailleurs de la terre contraints à l’exode rural suite à la prétendue « Révolution Blanche » qui avait frayé la voie à cette croissance économique et dépassa les trois millions. L’injection de nouvelles sommes d’argent tirées des revenus du pétrole en augmentation suite à la hausse mondiale des cours ne fit qu’aggraver les problèmes. D’énormes goulots d’étranglement apparurent là où manquaient les infrastructures sociales nécessaires. Le gouffre entre nantis et démunis s’agrandit plus que jamais. La destruction de l’économie rurale traditionnelle concentra d’énormes masses de chômeurs et de semi-chômeurs dans les zones urbaines.
L’impact de la stagnation économique et de l’effondrement général fut aggravé par les mesures d’austérité, prises en 1977-78, qui signifiaient une diminution réelle des salaires pour la plupart des salariés. Pour empêcher les travailleurs qualifiés de chercher un emploi mieux rémunéré, un système de « livret de travail » fut instauré pour suivre à la trace les travailleurs. Et pour que ces mesures passent dans les faits, la répression fut accentuée.
Même les petits producteurs durent partir. Pour résoudre les problèmes que la crise posait aux grands industriels, de nombreux hommes d’affaires petits et moyens furent contraints de fermer boutique par la Chambre de Commerce du Chah.
Avec la disparition de la perspective d’une expansion continue, les conflits sociaux et politiques devinrent rapidement de plus en plus aigus. Trois groupes sociaux importants se retrouvèrent ainsi poussés dans l’opposition à la dictature du Chah. Les travailleurs (les salariés en général), les déshérités des villes ( leur équivalent à la campagne, les paysans pauvres ) et les petits producteurs indépendants paupérisés.
Qui plus est, la dictature du Chah ne fut plus à même de contenir plus longtemps le mécontentement créé, parmi les couches privilégiées elles-mêmes, par une croissance économique inégale, qui permettait au sommet de la bureaucratie étatique ainsi qu’à une petite clique de familles riches étroitement associées à la cour royale ( et donc à l’Etat ) de se tailler la part de lion. Plusieurs secteurs de la bourgeoisie traditionnelle se virent interdire l’accès aux sources de la manne étatique. Des secteurs entiers de la classe dirigeante elle même se voyaient transformés en « citoyen de seconde zone ».
Ce conflit à la base même du régime fut aggravé par l’intervention directe du Chah faisant du régime politique du pays un Etat à parti unique (Hezb-e Rastakhiz-e Melli : Parti de la Renaissance Nationale). Dès le milieu des années 70 des regroupements politiques ouverts s’étaient constitués à l’intérieur des couches traditionnellement monarchistes, réclamants des réformes constitutionnelles. La création du Parti Rastakhiz ne fit que durcir leur opposition au régime.
L’important clergé chiite, un des traditionnels leviers de 1’Etat, était dans les faits remplacé par la nouvelle bureaucratie. Khomeiny et ses partisans, qui étaient opposés à la « Révolution Blanche » du Chah, accusée de son impact sur le clergé chiite, pouvaient alors prétendre en avoir prévu les résultats des années en avance.
Cela les mettait, vis à vis des masses, dans une position relativement favorable par rapport aux autres groupes de l’opposition bourgeoise. Le clergé avait gardé son implanta¬tion dans le peuple ainsi que chez les commerçants et les petits propriétaires marginalisés. Peu de gens se souvenaient que l’opposition de Khomeiny au Chah reposait, entre autres, sur son opposition à la réforme agraire, au droit de vote des femmes et à la création d’administration locale. Toutes choses qui étaient considérées par l’aile la plus réactionnaire de la hiérarchie chiite comme autant d’attaques directes contre ses positions dans la société iranienne
Le clergé put donc profiter au maximum de l’occasion en utilisant son influence sur les masses comme moyen de pression pour négocier avec l’Etat. Le fait que l’organisation des Moudjahidine du peuple était à l’époque inséparable des membres de la hiérarchie chiite, que le parti Toudéh les qualifiait de son coté de « Musulmans militants », a aussi contribué à désarmer les masses. Khomeiny utilisa donc sa capacité à contrôler les masses comme monnaie d’échange pour asseoir sa respectabilité auprès de la clique au pouvoir. Petit à petit, se mit en place une direction reposant sur une coalition de divers groupes bourgeois, dirigée par le clergé et soutenue par certains secteurs de l’armée et de la Savak. Cette coalition avait aussi le soutien de masses de plus en plus grandes et une influence croissante sur le mouvement de protestation de plus en plus large. C’était là un avantage que le gouvernement américain lui-même ne devait pas tarder à reconnaître.
C’est dans ce contexte que le nouveau mouvement ouvrier se développa. Au début de 1977, des grèves revendicatives éclatèrent ici et là, et, avant la fin de l’année, la vague de grèves s’étendit avec une nette tendance à la politisation. La classe ouvrière devenait partie prenante de la situation politique à l’échelle nationale contre la dictature du Chah et commençait à faire basculer le rapport de forces. Le régime et ses appareils de répression n’étaient plus en mesure d’écraser le mouvement. Un aspect intéressant de cette période fut la manière dont la classe ouvrière se mit à tester le rapport de forces. Malgré l’absence d’une direction nationale, les actions des ouvriers se coordonnaient petit à petit. Dès qu’une grève éclatait quelque part, des actions de solidarités étaient entreprises dans les usines avoisinantes. Au début les revendications étaient purement économiques et même terre à terre. Mais chaque victoire encourageait les ouvriers en contact avec les grévistes à se mettre en grève à leur tour et souvent à faire monter les enchères.
Dans beaucoup de cas, des travailleurs ayant obtenu satisfaction se remettaient en grève pour de nouvelles revendications. Peu à peu les revendications politiques prirent le pas dans les grèves. Elles allaient du retrait des Lois du Travail et de l’expulsion des agents de la Savak des ateliers, jusqu’à la libération des prisonniers politiques et même au renversement du régime du Chah.
Les revendications économiques elles même devenaient plus radicales, de simples augmentations de salaire, elles passèrent à l’échelle mobile des salaires, au partage du travail entre tous et au contrôle ouvrier sur la production.
Le mouvement s’étendit rapidement; touchant des secteurs qui n’avaient jamais été touchés auparavant par les actions revendicatives. Vers la fin de 1978 ( en septembre et en octobre pour être exact ). On voit apparaître ce qu’on pourrait appeler une grève générale politique rampante. Elle finit par toucher plus d’un million et demi de travailleurs de 1’industrie, de 1’agriculture et des bureaux. Cette grève générale s’étendit, avec des hauts et des bas, mais de manière à peu près continue jusqu’à l’insurrection de février 1979. C’est ce qui en fin de compte a brisé les reins de la dictature du Chah. Pendant pratiquement les deux mois qui précédèrent l’insurrection, l’appareil répressif de l’Etat fut complètement paralysé.
L’impact de la grève s’amplifia, en particulier après que les manifestations de masse dirigées par le clergé eurent atteint une impasse. Après les massacres de septembre 1976, il devint clair que de telles mobilisations ne pouvaient pas, par elles même, renverser le Chah. Et, il était clair aussi que la direction religieuse du mouvement se préparait alors à un compromis. La mobilisation ouvrière galvanisa le mouvement de masse et lui donna une force et une efficacité nouvelle, au point que le clergé et ses partenaires de la coalition durent abandonner toute idée de maintenir le Chah en place.
Ainsi, après avoir été absente de la scène politique pendant près de trois décennies, et malgré son manque d’organisation et de traditions de lutte de classe, la classe ouvrière iranienne faisait la démonstration qu’elle était la force révolutionnaire dirigeante dans le pays. Elle ne put offrir au mouvement de masse sa propre direction mais le simple fait de son intervention eut une influence profonde sur le cours des événements.
Ce fait en lui-même, malgré les reculs qui ont suivi, a été et continuera à être d’une importance décisive en ce qui concerne l’avenir politique de l’Iran. Pour la première fois dans l’histoire moderne de l’Iran, une force sociale importante a montré dans les faits sa volonté de lutter pour la démocratie et le progrès.
4. Le début du processus d'auto organisation
ouvriére
Contrairement aux manifestations de masse qui nécessitaient une organisation centralisée que les mollahs étaient les seuls à pouvoir fournir à 1’époque, les grèves, elles, favorisaient l’auto-organisation de la classe ouvrière.
Dès le début de la vague de grèves les ouvriers mirent sur pieds des comités de grèves (complètement en dehors des structures syndicales corporatistes). Ils ne furent pas long à réaliser que 1’extension et le renforcement des grèves exigeaient que soient mis sur pied des organismes de coordination. Peu à peu, une myriade de comités de grève et de coordinations apparurent dans les villes importantes.
Le Comité le plus puissant était celui du Khouzistan, la région productrice de pétrole. Ce comité de coordination regroupait les ouvriers du pétrole et de l’acier de la région sud. Il devait jouer un rôle majeur dans le renversement du Chah.
Ces comités de grève représentaient une nouvelle force d’importance dans le mouvement de masse. Une force qui était reconnu par tous, y compris par la direction religieuse. Et pourtant ces comités n’essayèrent pas vraiment de jouer un rôle dirigeant à l’intérieur du mouvement de masse. Beaucoup d’entre eux, à l’échelle locale ou nationale, entrèrent en conflit avec les politiciens cléricaux ou bourgeois qui désapprouvaient certaines des grèves ou le radicalisme des ouvriers grévistes. Mais les grévistes n’allèrent cependant pas jusqu’à remettre en cause leur direction.
À titre d’exemple, le comité de grève des travailleurs du pétrole résista à la pression des représentants sur place de Khomeiny - qui leur demandait de mettre fin à leur grève et de se contenter d’empêcher l’exportation de pétrole. Bazargan (qui fut plus tard nommé Premier ministre par Khomeiny) désavoua même publiquement la grève. Les travailleurs refusèrent de se soumettre, soutenant que la grève devait continuer jusqu’au renversement du Chah.
Malgré toutes les menaces qui leur furent faites par le régime et par les politiciens soi-disant opposés au Chah, les travailleurs du pétrole continuèrent à diminuer la production jusqu’à ce qu’elle fut complètement interrompue. Ils n’autorisèrent que la commercialisation de stocks existants de mazout à usage domestique. Ce fut probablement là le premier exemple d’un comité de grève imposant le contrôle ouvrier sur la production et la distribution. De plus, ils commencèrent à se débarrasser de ceux qu’ils considéraient comme des cadres réactionnaires.
Plusieurs comités semblables fonctionnèrent à 1’époque.
Les revendications généralement mises en avant étaient
:
1. La réembauche des travailleurs licenciés pour avoir
participé aux bittes contre le Chah ;
2. Le paiement des heures de débrayages ou de grève ;
3. L’expulsion des agents du Chah et de la Savak des usines ;
4. L’abrogation des lois du travail qui donnaient des pouvoirs exorbitants
à la direction.
De telles revendications, étant donné la situation politique
du moment et la combativité générale de la classe
ouvrière, favorisèrent la dynamique du contrôle ouvrier
dans toutes les usines en lutte.
Le comité de grève des cheminots empêcha tout transport
de troupes et. de matériel militaire, ce qui paralysa l’Etat, tout
en assurant le transport de nourriture et de combustibles pour la population.
Ni les menaces du gouvernement, ni le sabotage ne purent faire fléchir
la détermination des travailleurs.
Les travailleurs des banques apportèrent leur contribution en
dénonçant les magouilles financières des riches et
en fournissant les chiffres les plus récents sur la fuite des capitaux.
De plus, avec l’aide de certains secteurs de l’administration (en particulier,
les employés du ministère des finances), ils réussirent
à paralyser complètement les opérations financières
de 1’Etat.
Les travailleurs de l’imprimerie et les journalistes se mirent en grève
pour empêcher la publication de la propagande gouvernementale. Ceux
qui continuèrent à travailler empêchèrent la
publication de tout article hostile à l’opposition.
La classe ouvrière se mit aussi à ouvrir les livres de
compte et à exercer le contrôle ouvrier. Ce mouvement, cependant
fut limité à quelques usines isolées. Les travail1eurs
s’emparèrent du pouvoir d’arrêter la production ou de la contrôler,
mais ils ne firent pas le pas consistant à réorganiser la
production dans son ensemble. Ils étaient à la tête
de la lutte contre le Chah, mais ils ne proposaient pas leur propre alternative
politique. Sur le plan politique, ils ne rangeaient simplement derrière
la coalition des bourgeois, marchands et marchands, qui dirigeait le mouvement
Il en résulta une situation un peu particulière.
Les mosquées et les commerçants du Bazar finançaient
en partie quelques uns parmi les comités de grève les plus
importants (dont celui de l’industrie du pétrole), Cela contribua
à accréditer l’idée que la direction du mouvement
était du coté des masses, lors qu’en fait l’opposition bourgeoise
au Chah se servait simplement des grèves au profit des cliques bourgeoises
cléricales et 1ibérais. Après tout, il ne leur en
coûtant pas grand-chose les grèves n’affectaient que les portefeuilles
de leurs rivaux.
L’effet le plus lourd de conséquence de la situation fut que
beaucoup d’organisations ouvrières qui étaient effectivement
indépendantes tombèrent sous l’influence de la direction
bourgeoise. Les couches les plus militantes de la classe ouvrière
iranienne ne rassemblèrent pas autour de la gauche, mais restèrent
sous la direction politique de la coalition bourgeoise cléricale,
qui veilla à ce que les travail leurs ne jouent qu’un rôle
d’appoint, malgré leurs luttes véritablement héroïques.
Cela devait avoir une conséquence profondes sur le cours subséquents
de la révolution iranienne.
La grève générale n’aurait pu donner naissance
à un nouveau pouvoir que si elle était al1ée au-delà
des limites de telle ou telle usine isolée et avait mit sur pied
une organisation à l’échelle nationale capable d’attirer
les masses dans son sillage. L’insurrection de février 1979. qui
eut lieu contre la volonté de Khomeiny et Bazargan, aurait pu être
le début d’un tel processus. Elle ne mena cependant pas à
une situation de double pouvoir.
Au contraire, tout de suite après l’insurrection, les éléments
dirigeants de la classe ouvrière acceptèrent le désarmement
et la dissolution des comités de grèves à la demande
de la direction bourgeoise-cléricale.
Un gouvernement bourgeois fut établi par-dessus la tête.
des masses et put se présenter comme l’émanation du soulèvement
populaire. « remercions Dieu ! la Révolution a vaincu. Nous
devons maintenant y mettre fin et reconstruire l’économie. Il n’est
plus nécessaire de détruire. Nous devons maintenant construire
» déclare le premier ministre.
Khomeiny aussi montra son vrai visage sitôt l’insurrection terminée.
Il demanda aux travailleurs de mettre fin aux grèves et d’augmenter
la production: « Tout nous appartient dorénavant ! »
et c’est bien ainsi qu’il l’entendait ! (ses mollahs s’emparèrent
de presque tous les postes lucratifs de l’industrie et mirent sur pied
la « Fondation Mostazafin » (fondation des déshérités,
soit disant). Quant à ceux qui refusaient, il menaçait de
les "considérer comme des saboteurs" contre-révolutionnaire
et de les traiter comme tels".
Pour remplacer les comités de grève, les dirigeants religieux
installèrent des "shoras (conseils) islamiques" qui étaient
supposés assurer « la participation des déshérités
& la reconstruction d’une nouvelle société islamique
».
La contre révolution avait commencé. La classe dirigeante
essayait, par l’intermédiaire de Khomeiny, de faire reculer les
masses et de leur confisquer leurs conquêtes démocratiques.
Au début, il faut le dire, le recours à la force ne fut pas
nécessaire. Le nouveau régime bourgeois put s’appuyer sûr
l’illusions des masses pour les placer en position de soumission totale.
En quelques jours, les grives s’arrêtèrent et les comités
de grives furent dissous. Il y eut bien sûr des résistances
ici ou là mais dans la plupart des cas les travailleurs n’avaient
pas une conscience politique claire de ce qui était en train de
se passer (il n’y avait personne non plus qui proposât une perspective
ils se laissèrent intimider et baissèrent les bras.
La seule voix importante à s’élever fut celle des dirigeants
du comité de grive de l’industrie du pétrole. Ils demandèrent
que les organisations ouvrières soient « représentées
au Conseil de la Révolution Islamique » mis sur pied par Khomeiny
pour diriger le pays. Ils abandonnèrent cependant assez vite cette
revendication et ne demandèrent à aucun moment l’abolition
de ce "Conseil" auto proclamé ou l’élection d’une Assemblée
Constituante tel que cela avait été promis.
Le rôle politique de la classe ouvrière fut ainsi réduit
à ce qu’il était avant l’insurrection. De plus, la lutte
de classe était maintenant plus que jamais confinée
à l’intérieur de chaque usine ou complexe industriel. Il
n’y avait plus de mouvement de masse contre le Chah pour permettre aux
travailleurs de jouer un rôle politique à l’échelle
nationale et aucune réelle opposition au nouveau régime n’existait
encore.
Cependant le fait le plus important de cette période, était
la « cassure à l’intérieur de la classe ouvrière
qui devenait de plus en plus visible. Il y avait ceux qui avaient des illusions
envers le nouveau régime ou le soutenaient activement, et ceux qui
conservaient une perspective de lutte de classe et cherchaient à
consolider et approfondir les gains de la révolution. Cette cassure,
qui devait être fatale aux luttes, était évidente pour
tous ceux qui soutenaient activement le régime : elle était
moins pour les tenants de la lutte de classe. Les premiers tentèrent
de dissuader les seconds de poursuivre la lutte, que Khomeiny avait déclaré
« contre révolutionnaire » ; les seconds persistaient
à maintenir avec les premiers l’unité qui avait prévalu
quelque mois plus tôt seulement après l’opposition au Chah.
La trahison ouverte de groupes comme le Toudéh qui chantait les
louanges du nouveau régime réactionnaire, ou de groupes qui
dissuadaient les militants d’entreprendre la lutte contre le régime
qu’il considéraient comme ‘révolutionnaire’, contribua
bien sûr à désorienter les masses encore plus.
En fait la cassure se retrouvait y compris à l’intérieur
de 1’avant-garde de la classe ouvrière.
5. Le mouvement ouvrier après l'insurrection
L’insurrection de février 1979 et l’affaiblissement consécutif
du vieille appareil d’Etat avaient ouvert la voie, en dépit des
manoeuvres du nouveau régime, à la lutte de classe et à
une avancée politique et sociale de la classe ouvrière, les
capitalistes eux mêmes n’étaient pas en position de barrer
cette voie (beaucoup d’entre eux avaient en fait fui le pays). A l’intérieur
des entreprises elles-mêmes, une situation favorable s’était
développée. Presque partout, les vielles structures patronales
s’étaient effondrées. Dans les usines, la plupart des ingénieurs
et cadres réactionnaires avaient suivi leurs maîtres et n’osaient
pas se montrer. Les agents connus de la Savak se cachaient et tous ceux
qui avaient collaboré avec eux faisait de même. et partout
ou ce n’était pas le cas, les travailleurs s arrangèrent
en quelques jour pour que cela le fut !
Les nouveaux instruments de répression n’étaient pas encore
suffisamment efficaces pour empêcher les travailleurs d’imposer leurs
revendications. Ce qui empêcha les travailleurs d’aller davantage
de l’avant, ce fut en fait leur propres illusions en Khomeiny, ainsi que
les conseils déroutants des différents groupes soit disant
de gauche comme le parti Toudéh ou l’organisation des Moudjahidines
qui préconisait la collaboration avec ce qu’ils proclamaient «
gouvernement révolutionnaire ».
Il faut souligner, cependant, que la logique objective de la situation
ouverte par la révolution était par elle même plus
puissante que ces facteurs réunis. Et, combiné avec la profond
crise économique cela donna aux luttes ouvrières une dynamique
malgré tout difficilement contrôlable. Du moins, pendant une
période.
Ainsi, le nouveau régime insistait beaucoup sur la nécessité
de suspendre les grèves et de ranimer l’économie. Mais qui
donc, à part les travailleurs eux-mêmes, pouvait effectivement
organiser la production ? Même les dirigeants réactionnaires
religieux-bourgeois durent admettre le fait que, sans une certaine participation
des travailleurs à la gestion des usines, ils n’avaient pas les
moyens de relancer la production.
Les travailleurs, quoiqu’il en fut de leurs illusions, entrèrent
donc dans une période de mobilisation, qui alla jusqu’à un
certain contrôle de la production et de la distribution, ce qui,
à terme, ne pouvait manquer de les entraîner dans un processus
de confrontation avec le régime bourgeois.
Suivant les conseils des leaders religieux, les travailleurs abandonnèrent
leurs comités de grèves et mirent en place des Shoras Islamiques,
mais ces mêmes shoras furent alors contraintes d’exercer leur contrôle
voire de diriger telle ou telle entreprise. En outre, dans bien des cas,
ce furent les mêmes individus qui avaient dirigé les comités
de grève qui composèrent les shoras. Celle-ci ne pouvaient
pas, même si telle était leur intention, être simplement
islamique. Ainsi, nombre d’entre elles convoquèrent des élections
pour élire des ouvriers-directeurs alors que les mollahs, quant
à eux entendaient par islamique la soumission totale à la
volonté des directeurs nommés par leur propre soins. Plusieurs
shoras, d’autre part, créèrent leurs propres réseaux
de distributions pour court-circuiter les commerçants de Bazar et
casser ainsi les prix pour les consommateurs.
Les mollahs n’étaient certes pas partisans de telle conceptions
de l’islam. Ils souhaitaient recueillir les fruits de cette révolution
au bénéfice de leurs propres amis du Bazar, et certainement
pas des consommateurs. Certaines shoras commencèrent même
à contacter directement des fournisseurs étrangers de pièces
détachées et de matières premières à
fin d’obtenir de meilleures conditions et d’augmenter la production à
moindre coût. Cela aussi rendit furieux les négociants amis
des mollahs qui, s’ils avaient tellement contribué à les
financer pour prouver leur « soutien » a la révolution
escomptaient en retour avoir à nouveau accès aux canaux lucratifs
du commerce extérieur.
L’embauche et les licenciements étaient maintenant sous le contrôle
des travailleurs , ce qui rendait superflue la machine entière du
Ministère du travail et de ses tribunaux industriels. En ouvrant
les livres de comptes, les travailleurs avaient découvert pas mal
de vérités sur le rôle joué par tel ex ministère
du Chah pour « couvrir » et aider à fuir des capitalistes
dont certains devaient parfois aux banques d’Etat jusqu’à trois
fois la montant total de leur avoirs. Les travailleurs découvrirent
ainsi aussi que le nombre des bureaucrates associés à ces
trafics avaient été maintenus en place, voire mémé
promus, par le nouveau régime. Lorsque les différents ministères
tentèrent par exemple de placer leur propres hommes à la
tète des entreprises dont les propriétaires avaient fui,
les travailleurs non seulement résistèrent mais en outre
publièrent les noms et firent connaître le passé de
ces hommes, de sorte que le gouvernement ne puisse pas les envoyer dans
d’autres entreprises.
Tout cela donna une puissante dynamique à l’indépendance
des shoras malgré le fait que de nombreux travailleurs n’avaient
pas encore rompus avec la direction religieuse. Les chefs du régime
ne tardèrent pas à attaquer ouvertement les shoras.
Un mois avait à peine passé quand M. Bazargan, le premier
ministre, déclara à la T.V « qu’elles ( les shoras
) veulent être les propriétaires des usines. Elles veulent
être les patrons. Elles veulent décider des questions qui
relèvent de la Direction. Elles ne coopèrent même pas
avec le gouvernement. Alors, qu’est censé être le rôle
du gouvernement ? ». M. Fourouhar, son ministre du travail, alla
plus loin : « nous ne pouvons accepter les shoras. Au plus, nous
pourrions accepter une forme de syndicat » (il voulait sans doute
évoquer par là une forme similaire à ce qui avait
existé sous le Chah. Dès avril une grande campagne de mesures
anti-ouvrières était lancée.
Les mollahs furent envoyés dans les principales entreprises afin
de prêcher les vertus de « l’esprit constructif » et
du « respect de la loi et de l’ordre ». Ils appelèrent
les travailleurs à subordonner leurs actions aux intérêts
de la révolution islamique et à collaborer avec le «
gouvernement choisi et approuvé par l’Imam lui-même »
(Imam : le nouveau titre que Khomeiny s’est octroyé). Ils jouèrent
sur les sentiments religieux de la majorité des travailleurs pour
attiser l’hystérie anti-gauche et purger les shoras de leurs ouvriers
combatifs. Dans plusieurs cas, les Gardiens de la Révolution en
armes, qui accompagnaient les mollahs frappèrent des « Communistes
» et des « Gauchistes » devant les travailleurs pour
"donner une leçon à la contre-révolution".
Avec l’aide du « Bureau du procureur de la révolution islamique
», nouvellement créé, le gouvernement commença
à imposer ses propres dirigeants dans les industries d’Etat. Un
groupe de Gardiens de la Révolution armé était envoyé
dans les usines, accompagnant le représentant du procureur, le directeur
nommé et les représentants du service gouvernemental concerné,
afin de « persuader » les travailleurs d’accepter l’intervention
de l’Etat. On les menaçait de fermer complètement l’usine
s’ils ne cédaient pas. Etant donnée la structure de l’industrie
iranienne et sa dépendance complète vis-à-vis des
importations de matière premières et de machines, c’étaient
une menace que les travailleurs étaient bien obligé de prendre
au sérieux.
En dehors de l’accord du gouvernement pour fournir soit des crédits
aux échanges extérieurs, soit les matières premières
voulues, les travailleurs ne pouvaient à ce moment là faire
grand chose.
Au cours de ces visites, les chefs du régime firent aussi de
leur mieux pour changer la composition des shoras et placé leurs
partisans aux postes de responsabilité. Ils n’étaient pas
encore en mesure de dissoudre les shoras aussi mirent ils en place leurs
propres conseils. Avec l’aide d’un groupe de militants islamistes de l’école
polytechnique de Téhéran (qui, à cette époque
comptait la plus puissante association islamique), ils créèrent
un comité intitulé "Comité de Coordinations des Shoras
Islamiques". Ce comité, appuyait par les forces de répression
décida de ce que serait l’élection correcte des shoras islamiques
et leur "comportement juste en accord avec les décisions du Conseil
de la Révolution Islamique (CIR). Et il établit une Constitution
modèle pour ces shoras.
Selon cette réglementation, celle-ci devait déclarer leur
accord avec les principes islamique faute de quoi non seulement elles ne
recevraient aucune aide de la part des autorités mais s’exposait
en outre aux attaques des forces de la répression. Il faut dire
qu’ici plusieurs groupes qui se prétendaient plus avisés
coopérèrent avec ce comité en firent même partie
(y compris l’organisation des Moudjahiddines) .
En mai, le pouvoir alla plus loin, et le Conseil de la Révolution
Islamique adopta un nouveau décret créant une force spéciale
pour la réglementation du travail et des affaires sociales, donnant
aux forces de répression le pouvoir d’arrêter et d’emprisonner
les travailleurs suspectés de « permettre à des individus
ou des groupes non autorisés d’intervenir sur les lieux de travail
au détriment des intérêts de la révolution islamique
» Ainsi, n’importe quel travailleur pouvait être arrêté
sous le prétexte de soutenir ou d’appartenir à d’autres tendances
politiques que celles qui avaient l’aval des autorités. Le régime
n’était pas encore en mesure d’utiliser ces pouvoirs partout et
n’importe quand, mais il s’en servit pour manipuler et modifier la composition
de nombreuses shoras et empêcher leur fonctionnement démocratique.
Etant donné la situation politique, cependant, toutes ces attaques
contre la classe ouvrière ne firent que contribuer à la radicalisation
de ses luttes. Elles facilitèrent et accélérèrent
son inévitable désillusion vis-à-vis de Khomeiny,
de son gouvernement et de leur « révolution islamique ».
Les premiers mois de luttes qui suivirent la révolution démontrèrent
à une grande partie de la classe ouvrière que la ligne de
partage dans la révolution ne s’établissait pas entre partisans
de la "monarchie" ou de la république", mais en fonction de la question
« travailleurs ou capitalistes ? ». Nombre de shoras commencèrent
alors à dénoncer le gouvernement comme un « gouvernement
capitaliste » et à s’interroger ouvertement sur le soutien
que lui apportait « l’Imam lui-même ». Plus important
encore, les travailleurs commencèrent à comprendre les liens
qui unissaient depuis toujours
les capitalistes du Bazar et les mollahs.
Les manifestations du 1er mai 1979 indiquèrent clairement jusqu’à
quel point ce processus s’était effectivement engagé. C’était
le premier 1er mai depuis la révolution, trois mois à peine
après l’insurrection ; Les personnalités du gouvernement
avaient toutes déclaré soutenir cette journée et elles
tentèrent d’organiser une manifestation en faveur du régime,
les opportunistes de toute sorte (dont bien sur le parti Toudéh
et ses suiveurs) avaient eux aussi fait leur possible pour attirer les
travailleurs à cette manifestation « officielle », mais
le jour dit, il s’avéra que, dans la plupart des grands centres
industriels, ce furent les manifestations indépendantes et soutenues
par un front uni de la gauche, qui réussirent à entraîner
la vaste majorité des travailleurs. Rappelons que les moudjahiddines
avaient eux aussi tenté de saboter les manifestations indépendantes
en organisant leurs propres célébrations « indépendantes
». A l’époque, ils ne pouvaient plus continuer à soutenir
inconditionnellement le régime, mais d’un autre côté,
ils ne pouvaient pas non plus se montrer aux côtés de la gauche
! Rien qu’à Téhéran, la manifestation indépendante
regroupa trois fois le nombre de manifestants rassemblés par les
mollahs, les opportunistes et les moudjahiddines réunis.
Le mouvement « officiel » des shoras ne connut pas un sort
meilleur. Non seulement il n’attira pas dans son giron une grande proportion
des shoras existantes, mais celles qui y entrèrent n’étaient
pas telles que le régime l’avait espéré. Il est difficile
de juger quel pourcentage des shoras le comité de coordination pro-gouvernementale
représentent exactement car il n’existe aucun chiffre global, mais
une chose est certaine c’est qu’il n’est pas élevé. On sait,
par exemple, qu’au sommet de sa « popularité », ce comité
ne totalisa pas plus de 400 shoras or à Téhéran seulement,
il y avait plus d’un millier de shoras commues qui plus est, aucune des
industries les plus importantes ne prit la peine d’y adhérer. Ces
shoras « apprivoisées » s’éloignèrent
peu à peu et se mirent à formuler des revendications inacceptables
pour le régime.
Les shoras indépendantes, de leur côté, se développèrent.
La « Maison des Travailleurs » mise sur pied à Téhéran
par les forces indépendantes connaissait un large soutien de la
part des travailleurs de rang (c’est ce centre qu’avait organisé
les manifestations indépendantes du 1er Mai). En fait, plusieurs
même de ces shoras censés soutenir le régime étaient
en contact avec ce centre, Il devenait de plus en plus évident pour
le régime capitaliste qu’une politique plus énergique était
indispensable s’il voulait avoir quelque espoir de contrôler la classe
ouvrière.
<
6. Les manoeuvres contre-révolutionnaires
La coalition dirigeante clérico-bourgeois s’ adopta un certain
nombre de politiques vis-à-vis de la radicalisation du mouvement
ouvrier.
La première fut un important programme de nationalisations. L’objectif
essentiel du régime était de faciliter l’intervention de
l’Etat dans les entreprises dont les propriétaires s’étaient
enfuis et où la production était presque entièrement
contrôlée par les shoras. Le gouvernement était déjà
dans une certaine mesure parvenu à ses fins dans les industries
de l’Etat. A l’aide des pouvoirs décrétés par le CIR,
il pouvait maintenant commencer à imposer sa volonté aux
autres shoras.
Ainsi, à grand renfort de publicité et de réjouissances
publiques, le gouvernement annonça, au début de l’été
1979, la nationalisation de toutes les compagnies appartenant à
quelques cinquante gros capitalistes (avec des indemnisations plus que
généreuses pour les capitalistes étrangers et la catégorie
ambiguë des autres actionnaires).
Deux faits prouvent de façon évidente que c’était
une nationalisation bidon. D’abord, les industries nationalisées
étaient déjà « nationalisées »
par les travailleurs qui en fait les contrôlaient et les dirigeaient.
Le gouvernement essayait simplement de tromper les travailleurs, de leur
ôter le contrôle de ces entreprises. Ensuite, ces compagnies
avaient, quasiment sans exemption des dettes envers l’Etat qui s’élevaient
à plusieurs Lois leurs avoirs déclarés. Au travers
de cette « nationalisation » le gouvernement n’effaçait
pas seulement les dettes des capitalistes, mais il leur donnait de plus,
de l’argent sous forme d’indemnisations aux actionnaires qui ne s’étaient
pas enfuis, mais qui auraient dû néanmoins supporter leur
part de ces dettes.
Après ces nationalisations qui touchèrent presque 70%
du secteur privé, le gouvernement renforça sérieusement
son contrôle des investissements, des salaires, de la production
et de la vente des marchandises. On appelait maintenant les travailleurs
à tout faire pour reconstruire l’industrie iranienne « qui
appartient dorénavant au troupeau islamique » On commença
à imposer systématiquement les directeurs, avec l’aide des
religieux et des troupes de choc de l’armée des Pasdarans, Il est
intéressant de noter que la plupart des directeurs nommés
par l’Etat refusèrent au bout de quelques semaines de rester à
leur poste, à cause de la très forte résistance que
leur opposaient les travailleurs qui refusaient de coopérer. Une
fois de plus, le parti Toudéh vint à la rescousse. il se
montra également capable de fournir à la contre révolution
des technocrates versés dans « 1’art » de se débarrasser
de la classe ouvrière. Pendant toute une période, c’ est
de ce groupe que furent issus la plupart des hauts cadres des industries
nationalisées.
La deuxième politique fut d’essayer, progressivement, de mettre
sur pied des Sociétés Islamiques (les anjomans) dans toutes
les entreprises, en opposition aux shoras. Ces Sociétés étaient
des organismes idéologiques, être complètement contrôlées
par le régime et en fait liées aux autres « institutions
révolutionnaires » telles que l’armée des pasdarans
ou les Comités de l’Imam, en dehors des entreprises. Il n’y était
pas question d’élections, aussi pouvaient-elles être facilement
manipulées pour servir les intérêts du régime.
Les autorités organisèrent ainsi leurs propres forces
dans toutes les entreprises autour de ces « anjomans » islamiques
et commencèrent progressivement à les renforcer et à
les préparer pour le moment où elles seraient appelées
à s’attaquer ouvertement aux shoras. Au bout de quelques mois, le
principal parti de la coalition cléricale-bourgeoise, le Parti de
la République Islamique (PRI), organisa une scission dans son propre
« Comité de Coordination des shoras islamiques » et
créa un nouvel organisme qui lui était plus directement lié
« le Comité de Coordination des Anjomans et Shoras Islamiques
».
Le Comité précédent avait atteint ses objectifs
et n’était plus d’aucune utilité pour le régime. De
toute façon, comme on l’a dit plus haut, il n’avait pas eu le succès
que le régime avait espéré. Il n’était pas
facile pour ce comité de manipuler les shoras dans les entreprises
importantes, car, quels que fussent ses efforts, il se trouvait toujours,
dans les shoras, quelques individus appréciées des travailleurs
que le régime ne pouvait pas facilement contrôler. Les anjomans
islamiques, par contre, leur fermaient tout simplement leurs portes.
A l’aide des pouvoirs étendus de 1’Etat, on incita, par toute
une série de mesures,’ les travailleurs à adhérer
à ces anjomans ou à les soutenir. Si on voulait demander
un prêt, il fallait s’adresser à elles. Si on voulait demander
quoi que ce soit à la direction, il fallait s’adresser à
elles. Si on avait des problèmes avec les Comités de 1’Imam
ou les Pasdaran, il fallait s’adresser à elles... Progressivement,
l’importance des shoras fut tellement réduite qu’elles ne pouvaient
même pas fonctionner sans la coopération des anjomans. En
fait, sans l’approbation de l’anjoman il valait mieux réfléchir
à deux fois avant de vous présenter aux élections
aux shoras. Très probablement l’anjoman monterait une machination
contre vous et inviterait les Pasdarans à vous arrêter et
vous emprisonner ou au moins à vous expulser de 1’entreprise.
Le gouvernement affecta également tous ses mass média
à ce nouveau comité et fit une large publicité’ à
ses activités et à ses conférences d’un bout à
1’autre du pays. Comme toujours, les opportunistes acclamèrent ce
nouveau comité comme le dernier cri des réalisations révolutionnaires
du régime et lui fournirent la caution de gauche qui était
encore nécessaire à cette époque pour tous les instruments
de l’Etat.
La troisième politique fut d’essayer d’isoler les shoras militantes
et les groupes de gauche et de préparer 1’épreuve de force
finale. Il était alors évident que la gauche se développait
rapidement et que le régime ne pourrait réellement contrôler
la situation sans l’écraser. Les masses profitaient au maximum des
droits démocratiques gagnés par la révolution. De
nombreuses organisations politiques qui défendaient la classe ouvrière
avaient ouvert des locaux au grand jour et c’étaient des lieux extrêmement
intéressants et où se déroulait une intense activité,
a en juger par le nombre de gens qui n’y pressaient. Partout On trouvait
des gens qui discutaient ouvertement et échangeaient leurs points
de vue sur tous les problèmes importants de la révolution.
La presse libre, essentiellement aux mains des journalistes qui en avaient
pris le contrôle après la fuite de leurs patrons, était
très largement diffusée. La presse de gauche avait également
beaucoup de succès. On estime que les différents journaux
de la gauche étaient, au total, diffusés à environ
uni million d’exemplaires.
La stratégie gouvernementale pour écraser la révolution
avait toujours essentiellement reposé sur la restriction de ces
droits démocratiques. Maintenant que le régime se préparait
à une offensive d’envergure, il devenait évident qu’il ne
pouvait pas se contenter de restreindre ces droits. En Août, le Procureur
islamique donna 1’ordre d’interdire plus de 40 journaux, parmi lesquels
toute la presse de gauche. Les autorités firent également
fermer tous les locaux des groupes de gauche. Une vague d’arrestations
de militants de gauche et de dirigeants connus de quelques-unes des shoras
les plus militantes suivit. Un peu plus tard, des bandes armées
d’hizbollahis attaquèrent la « Maison des Travailleurs »
et s’en emparèrent au nom du nouveau « Comité des Anjomans
et Shoras Islamiques ».
Quelques jours plus tard, Khomeiny déclara la « Guerre
Sainte » contre les Kurdes. La presse fut soumise à une censure
presque totale, on procéda à une mobilisation hystérique
des hommes de main des hizbollahis et une campagne militaire de terreur
fut lancée contre les Kurdes. Ce qui fournit également le
prétexte pour attaquer et supprimer toutes les shoras et tous les
groupes oppositionnels qui ne soutenaient pas cette « Guerre Sainte
».
La réaction des shoras et des groupes progressistes à
ces attaques laissa beaucoup à désirer. Le moins qu’on puisse
dire est qu’elle fut dispersée et désorganisée. Il
était évident que le mouvement ouvrier n’était pas
prêt à faire face à ces attaques qui se préparaient
depuis longtemps. En plus des défauts déjà mentionnés,
la raison essentielle de cette faible résistance était que
le mouvement ouvrier n’avait pas su utiliser les possibilités créées
par le rapport de force qui suivit la révolution pour construire
une organisation indépendante à l’échelle nationale.
Les travailleurs avaient exercé un contrôle sur la production
et la distribution dans toute 1’industrie iranienne. Pour que cela devienne
un véritable contrôle ouvrier, cependant, il aurait fallu
qu’ils ne restent pas dans les limites de leurs propres entreprises. L’abolition
du secret commercial n’aurait pu se faire qu’à 1’ échelle
nationale. La seule façon pour le mouvement des shoras de neutraliser
les manoeuvres du gouvernement sur le problème des matières
premières ou des pièces détachées aurait consisté
à élaborer un plan national et à affronter le régime
comme une organisation unifiée à l’échelle du pays.
Les illusions politiques de l’avant-garde cependant empêchèrent
la classe ouvrière d’entreprendre cette lutte à l’éhel1e
nationale. Dans les premiers mois décisifs, les travailleurs
n’étaient pas politiquement préparés à s’opposer
au gouvernement et à ses différents ministères. Non
seulement faute d’une véritable organisation,. mais aussi parcequ’ils
ne voulaient pas affronter un régime qui paraissait avoir le soutien
d’une grande partie de la population.
Rétrospectivement, c’était évidemment une erreur.
Ils n’auraient pas obligatoirement gagné la bataille, mais ils se
seraient certainement trouvés dans une meilleure position pour résister
aux attaques de l’été 1979 qui étaient inévitables.
Le fait que de nombreux groupes les encouragèrent également
à accorder leur soutien au nouveau régime ou même à
collaborer activement n’arrangea évidemment pas les choses.
Et deuxièmement, malgré toutes les luttes héroïques
pour défendre 1’indépendance de leurs shoras - luttes qui
furent, de fait, dans une large mesure victorieuses on ne s’efforça
pas de lier ces shoras et de les unifier à l’échelle nationale.
La seule façon pour la classe ouvrière d’affronter le régime
capitaliste aurait été de se poser comme une force nationale
capable d’engager le combat à l’échelle nationale.
De plus. la seule façon dont la classe ouvrière aurait
pu détacher des dirigeants religieux et gagner à elle la
masse des pauvres des villes aurait été de créer une
organisation nationale puissante capable de lutter pour les revendications
de tous les opprimés. Il s’avéra que l’incapacité
du mouvement des shoras à engager le combat sur des problèmes
tels que le logement ou 1’ emploi pour tous permit aux démagogues
religieux de gagner d’importants secteurs de la population pauvre et même
de les mobiliser contre la classe ouvrière.
Ainsi, la lutte pour l’unification du mouvement des shoras aurait été
la seule ligne d’action correcte. Malheureusement, il n’y eut qu’une petite
fraction de la gauche pour poser ce problème et au sein du mouvement
des shoras lui-même, la lutte pour l’unification des shoras se limita
à des efforts pour unifier diverses branches de la même industrie
ou des shoras d’un même quartier. Cette erreur laissa au régime
bourgeois les mains libres dans le domaine de la représentation
nationale de la classe ouvrière avec ses shoras et anjomans bidon
« unifiés » et faites sur mesure.
7. L'occupation de l'Ambassade Americaine et la geurre
Iran-Irak
La première vague de répression sérieuse de la part
du régime produisit un effet profond sur la conscience des masses.
L’opposition au régime devint rapidement une puissante force
matérielle. Par conséquent, la vague de répression
se heurta bientôt à des obstacles matériels et commença
à refluer. De plus, les peshmerghas Kurdes, qui avaient alors gagné
une énorme popularité, infligèrent une énorme
défaite militaire au gouvernement central au Kurdistan.
Les débats de 1’ « Assemblée des experts de la loi
islamique », qui à la faveur de la répression, avait
remplacé l’Assemblée Constituante promise, avaient ouvert
les yeux a beaucoup. il était maintenant officiel, écrit
noir sur blanc, que les mollahs voulaient instaurer un régime de
Vélayat é Faghih (dictature religieuse du Premier Mollah’).
De plus, la rentrée scolaire de septembre s’accompagna dans les
campus d’une nouvelle vague d’activités politiques indépendantes
du régime. De fait, la plupart des universités se transformèrent
à ce moment-là en. centres de solidarité avec les
luttes contre le régime. Presque partout, les Sociétés
Etudiantes Islamiques ne représentaient qu’une petite minorité
par rapport à la gauche.
Tout cela eut également des conséquences sur le mouvement
ouvrier. Non seulement le gouvernement n’avait pas réussi à
détruire le mouvement des shoras, mais une nouvelle montée
se préparait. Toutes les machinations de la période précédente
avaient pu imposer la volonté du gouvernement à la plupart
des shoras indépendantes.
Dans 1’industrie pétrolière, une shora unifiée
s’était développée, qui représentait les raffineries,
les employés de bureau, et les travailleurs du forage et des stations
de pompage. « Les Shoras Unifiées de Téhéran
Ouest » comprenaient plus de 30 shoras essentiellement dirigées
par la gauche. De même, le « Centre pour les Shoras de 1’Est
de Téhéran » pouvait parler au nom de plus de 20 shoras.
Dans le sud de Téhéran, « la Centre des Shoras Islamiques
de Rey » ressemblait les shoras de plus de 60 usines de moindre.
La sidérurgie était unifiée dans la "Shora Centrale
du Groupe Industriel National de 1’Acier Iranien". Toutes les shoras des
usines dépendant de l’« Organisation pour le Développement
et la Modernisation des Industries Iraniennes » (organisation gouvernementale)
s’étaient unifiées dans l’« Union Nationale des Shoras
Islamiques Révolutionnaires ».
A Tabriz, les travailleurs des grandes usines de machines-outils avaient
organisé une shora puissante qui jouait un rôle important
dans la ville et attirait à elle des représentants de nombreuses
entreprises de moindre importance. Dans la province de Guilan, plus de
40 shoras militantes s’étaient unifiées pour former l’«
Union des Shoras ouvrières du Guilan ». Cette confédération
développait un réseau indépendant de coopératives
ouvrières dans les zones rurales pour vendre directement tous les
produits manufacturés aux consommateurs et pour acheter las matières
premières et les produits alimentaires disponibles. A Arak et Ghazvin,
des shoras régionales s’étaient crées, qui organisaient
constamment des activités et envoyaient des délégations
à Téhéran pour présenter au gouvernement les
doléances des travailleurs.
Poutant une nouvelle montée de la combativité ouvrière
paraissait évidente. Sous une forme ou une autre. la plupart des
shoras étaient engagées dans des luttes qui s’opposaient
directement aux plans et aux souhaits du régime. La revendication
la plus répandue était certainement celle de l’abolition
des anciennes Lois du Travail et leur remplace-ment. par une loi élaborée
par les travailleurs eux-mêmes. Mais de nombreuses autres revendications
étaient également posées. Par exemple, le renvoi de
divers ministres, le droit de veto pour les travailleurs sur les problèmes
concernant la production, l’accès à la télévision
nationale pour les shoras ouvrières etc. étaient des revendications
parmi les plus populaires. Une fois de plus, la révolution relevait
la tête.
La crise au sommet s’intensifiait également. Les politiciens
bourgeois perdaient progressivement leur mainmise sur le pouvoir. Le fossé
entre eux et le clergé s’élargissait aussi. Ils exprimaient
maintenant ouvertement leur inquiétude au sujet de la Constitution
proposée, qui donnait tout le pouvoir à la hiérarchie
chute. Ils faisaient aussi pression sur les mollahs pour qu’ils prennent
une part active dans la répression visant à décapiter
le mouvement de masse.
D’un autre côté, les mollahs manifestaient de plus en plus
ouvertement leur véritable intention de prendre totalement le contrôle
des institutions politiques et financières de 1’Etat. De plus, pour
essayer d’endiguer la perte de leur crédibilité auprès
de fractions de plus en plus importantes des masses, les mollahs commencèrent
progressivement à attribuer toute la responsabilité de la
crise aux politiciens bourgeois.
C’est dans ce contexte qu’eut lieu 1’occupation de 1’ambassade américaine.
Elle fut préparée et organisée par le parti au pouvoir
(le PR1) et son objectif essentiel était de canaliser le mouvement
de masse.
Premièrement, une démagogie anti-impérialiste vide
de contenu constituait une bonne ligne politique pour détourner
l’attention de la très réelle dynamique anti-impérialiste
qui se développait rapidement. On appela les ouvriers et les paysans
qui sapaient quotidiennement les bases de la classe dominante à
abandonner cette lutte pour concentrer tous leurs efforts sur ce que Khomeiny
appelait « la deuxième et la plus importante révolution
contre le Grand Satan ».
Pratiquement, cela signifiait participer à des mobilisations
quotidienne autour de l’ambassade américaine pour y écouter
diverses personnalités du régime chanter les louanges de
la « ligne anti-impérialiste de l’Imam » et proclamer
des motions condamnant le régime précédent et soutenant
le CIR. L’Imam lui même appela le monde à cesser « toute
grève ou autre décorde » pendant que se déroulait
cette « deuxième grande révolution ».
Deuxièmement cet événement fournit 1’occasion de
se débarrasser du gouvernement qui était devenu extrêmement
impopulaire et de donner tous les pouvoirs au CIR, dominé par les
mollahs. De cette façon, la direction khomeiniste se blanchissait
de toute cette Politique impopulaire, et du même coup elle masquait
sa propre mainmise sur le pouvoir en allégeant la nécessité
de se débarrasser d’un régime impopulaire. Ainsi, l’échec
Politique de la première tentative de reconstruction de l’Etat bourgeois
était maintenant compensé par le gain d’un nouveau soutien
populaire à un Etat bourgeois « anti-impéria1iste ».
Tout groupe ou tout individu qui gênait le PRI était rapidement
dénoncé par les « étudiants suivant la ligne
de l’Imam » (officiellement des « étudiants islamiques
indépendants » chargés de l’occupation de l’ambassade
) qui publiaient des documents « prouvant la collaboration »
des groupes ou des individus en question avec l’ambassade américaine
De cette façon, on « prouve » également que les.
dirigeants de nombreuses shoras des ouvrières ou des paysans combattant
le régime étaient en fait tous manipulés par l’ambassade
américaine ! On « découvrit » également
des liens entre la « gauche infidèle » et le grand Satan.
Même Le parti Toudéh qui avait affiché sa ligne
collaborationniste pouvait maintenant gonfler cette événement
et par conséquent proclamer qu’il était juste de s’unir avec
le clergé « anti-impérialiste militant ». Il
réussit même à organiser une scission au sein du plus
important groupe de gauche, l’Organisation des Guérilleros Fédayin
du Peuple Iranien, et à enrôler dans les col1aborateurs un
groupe beaucoup plus important que lui même (l’Aksaryat: les soi-disant
« Fédayins majoritaires »), groupe qui avait une base
Considérable dans la classe ouvrière. C’est ce groupe qui
donna en réalité quelque substance matérielle aux
trahisons du parti Toudéh. Avant cela, le Toudéh n’avait
pas réellement de crédibilité auprès de la
classe ouvrière.
Troisièmement, sous le prétexte de « mobiliser l’armée
des 20 millions » censée combattre le « Grand Satan
», les instruments armés de la domination religieuse furent
énormément renforcés. Ce renforcement aida beaucoup
le régime a écraser de nombreux mouvement de protestation,
dont les plus importants furent celui des shoras des paysans Turkomans
et le soulèvement populaire anti-hizbollah à Tabriz.
Dans ces conditions, les mobilisations autour de l’ambassade américaine
elles mêmes se transformèrent progressivement en un nouvel
instrument de répression utilisé contre les travailleurs
et leurs organisations Les centres des shoras furent occupés par
des bandes de hizbollahis organisés autour de l’ambassade et acclamant
la « Grande Révolution » et les « Etudiants suivant
la ligne de l’Imam ». Avec cette méthode, la plupart des centres
des shoras indépendantes Purent détruits un par un. Au cours
de tous ces événements le parti Toudéh et. Aksaryat
soutinrent. le régime et attaquèrent la gauche. Le poids
de ces mobilisations « anti-impérialistes » se fit progressivement
sentir sur le mouvement ouvrier.
Le renforcement relatif des groupes de collaboration. de classe pour
lesquels la démagogie anti-impérialiste de Khomeiny fut.
une bénédiction, eut un effet. néfaste sur le mouvement
ouvrier. La scission dans l’organisation des Fédayins et la création
de 1’Aksaryat signifiaient. qu’une importante fraction de l’avant-garde
était maintenant entraînée dans une collaboration directe
avec le régime islamique. Avec l’aide de ces éléments,
les anjomans islamiques gagnèrent une nouvelle crédibilité
au sein des entreprises et le Comité de Coordination des Anjomans
et Shoras islamiques se développa rapidement.
Après quelques mois de « révolution anti-impérialiste
», les forces de répression s’étaient suffisamment
renforcées pour permettre au régime de lancer une nouvelle
vague de terreur. Tout d’abord, les campus universitaires qui étaient
à cette époque dominés par la gauche furent occupés
par le régime afin d’y mener à bien une « Révolution
Culturelle Islamique contre les universitaires pro-occidentaux ».
De nombreux militants étudiants furent sauvagement assassinés
et des milliers furent arrêtés. Ensuite, une nouvelle offensive
fut lancée contre les kurdes. Elle fut beaucoup plus brutale que
précédemment et reposa bien davantage sur les nouveaux groupes
armés des hizbollahs que sur l’armée régulière.
Enfin, on s’apprêta ouvertement à interdire les shoras indépendantes
et à arrêter leurs dirigeants.
Les dirigeants des travai1leurs du pétrole furent arrêtés
et leur shora fut liquidée. L’union des Shoras Islamiques Révolutionnaires
fut mise hors-la-loi et beaucoup de ses dirigeants furent arrêtés.
La Shora Nationale des Chemins de Fer subit le même sort. Les centres
des shoras indépendantes d’Arak, de Ghazvin, de Shiraz et de Téhéran
furent tous occupés et fermes.
La participation des travailleurs aux bénéfices fut abolie,
les augmentations de salaires furent déclarées illégales
et tout directeur qui enfreindrait ce nouveau décret déclaré
passible d’emprisonnement. Le CIR établit également un nouveau
code de fonctionnement pour les shoras islamiques, code qui, de fait, mettait
fin à toute possibilité de créer une shora ouvertement
indépendante.
C’est dans ce contexte qu’eut lieu, fin septembre 1980, l’invasion Irakienne.
Ce fut une nouvelle épreuve décisive pour le mouvement ouvrier.
La réaction la plus immédiate à 1’invasion fut
une vague hystérique de chauvinisme qui engloutit rapidement le
pays tout entier, y compris la classe ouvrière et presque toute
la gauche. Les travailleurs envoyèrent des volontaires sur les Fronts,
augmentèrent la production pour soutenir 1’effort de guerre et donnèrent
une partie de leurs salaires. Les groupes qui s’opposaient à cette
guerre furent submergés par ce nouvel état d’esprit. Cette
situation réduisit beaucoup l’opposition politique au régime
et permit à ce dernier de véritablement s’attaquer à
la tâche de la reconstruction de l’appareil d’Etat.
Autre conséquence extrêmement importante de la situation:
1’accroissement sans précédent du nombre des hommes en armes
et partisans du régime. On ressuscita l’armée régulière
elle même. qui n’avait aucune crédibilité auprès
des masses. et on la reconstruisit en alléguant les nécessité
de la guerre; les mollahs la sanctifièrent en la proclamant armée
islamique. La force de 1’armée des Pasdarans fut triplée
et une nouvelle organisation mise sur pied pour recruter du sang frais
(le Corps Basjdj). Même les anjomans islamiques étaient désormais
armés.
Les effets socio-économiques de la guerre elle-même réduisirent
largement les espérances de la population. Une importante fraction
de la classe ouvrière n’était plus prête à affronter
le régime pour des revendications économiques et sociales,
de peur des représailles. Le gouvernement avait gagné une
sympathie populaire massive et en profitait pleinement en rappelant constamment
la pénurie engendrée par la guerre et en demandant davantage
de sacrifices.
Au sommet, il apparaissait de plus en plus évident que les mollahs
se préparaient pour un coup final. A la fois pour se débarrasser
de tous leurs rivaux bourgeois en ce qui concernait le problème
du pouvoir et pour mettre un terme définitif à ce qui restait
de la révolution de 1979.
Ceux qui, au sein du régime, étaient opposés à
une nomination totale des religieux se regroupèrent autour du président
Bani Sadr qui, en tant que chef des Forces Armées avait utilisé
la guerre à son profit pour y gagner une certaine popularité.
L’organisation des Moudjahedines qui s’était développée
au point de dépasser en importance les plus grands des groupes de
gauche, misa tout sur Bani Sadr, en espérant un dénouement
rapide et sans douleur au sommet.
Ce qu’ils ne remarquaient pas, comme beaucoup d’autres c’ était
la préparation à grande échelle par le PRI, d’une
nouvelle et plus horrible vague de terreur, et la dégradation du
rapport de forces au profit des mollahs. Le clergé n’eut besoin
que de quelques mois de guerre pour lan-cer son offensive finale contre
la révolution.
8. La répression de l'été 1981
la vague de terreur lancée par le régime islamique en juin
et juillet 1981 entraîna rapidement un recul sévère
du mouvement de masse révolutionnaire et une reprise en main totale
de toutes les institutions post-révolutionnaires par la fraction
bourgeoise religieuse réactionnaire qui se préparait à
cela depuis 1’ insurrection. Les principales forces de la gauche n’étaient
pas préparées pour faire face à cet assaut contre-révolutionnaire.
Les collaborateurs - dirigés par le Parti Toudéh et leurs
compagnons de route Aksariyat - continuèrent à soutenir le
régime des « musulmans militants », proclamant qu’il
était « anti-impérialiste ». Ils dénoncèrent
l’opposition a cette terreur comme « complot impérialiste
». En fait, ils collaborèrent avec l’appareil de répression
en fournissant des renseignements sur la gauche, ce qui conduisit à
l’arrestation et l’exécution de milliers de militants. Dans ces
circonstances, il était clair que le maintien de leur soutien au
régime ne pouvait signifier qu’une collaboration active avec les
forces répressives de 1’ Etat. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’ils,
deviennent inséparables d’instruments tels que l’Armée des
Pasdarans, les Anjomans islamiques, le Corps des Basidj, les voyous hizbollah,
les Comités d’Imams etc. Leurs membres dirigeaient des équipes
d’interrogatoire à la prison d’Evin et entraînaient des tortionnaires
hizbollahis à la pratique de la torture pour arracher des informations
aux militants de gauche.
D’importantes fractions de la gauche commirent l’erreur coûteuse,
de faire preuve de suivisme par rapport à l’Organisation des Moujahidins?
Les Moujahidins contrairement à toutes leurs déclarations
postérieures, avaient toujours eu pour but de participer au pouvoir
avec ce qu’ils appellent maintenant « la réaction ».
Leur principale tactique pour y parvenir avait été, d’une
part, d’apaiser le régime dans son ensemble (un mois seulement avant
cette vague de terreur, leur leader avait supplié « le père
de la révolution », c’ est à dire Khomeiny, de leur
accorder une audience) et d’autre part d’essayer d’occuper des positions
au sein du régime en gagnant le soutien d’une partie du clergé
et de l’armée. Pris au dépourvu par la terreur, la réaction
des Moujahidins fut alors de changer d’orientation et de pousser à
une rapide prise du pouvoir par le sommet grâce à l’action
combinée de leur propre « milice » et d’une promesse
de soutien de la part d’une fraction interne au régime qui s’était
alignée derrière le « Président » et le
« Chef des armées », Bani Sadr.
La conséquence de cette politique appartient maintenant à1’
histoire. Les parties les plus importantes de la prétendue fraction
« libérale » à 1’intérieur de 1’ appareil
ci’ Etat se joignirent à la campagne de terreur et la tentative
désespérée de la direction des Moujahidine d’opposer
une « résistance armée » conduisit à la
perte de plus de dix milles de leurs militants de base et fournit au clergé
le prétexte pour intensifier encore la terreur.
La majorité de la gauche s’effondra avec les Moujahidins sans
avoir eu le temps de se rendre compte de ce qui se passait et de se réorganiser.
Les forces contre-révolutionnaires étaient grandement renforcées.
Ayant évalué le rapport de force, le régime réactionnaire
décida de porter un coup décisif final à tout. ce
qui pouvait subsister du mouvement révolutionnaire.
Moins d’un an plus tard, le parti Toudéh et les collaborateurs
de Aksariyat eux-mêmes furent passé par les armes. On, n’avait
plus besoin d’eux. Ils avaient bien servi leurs maîtres en anéantissant
le mouvement révolutionnaire. C’était maintenant leur tour
de goûter à leur propre médecine. Ce ne fut qu’alors
qu’ils décidèrent d’entrer dans 1’« opposition »
! Même alors, on doit le dire, il leur fallut une autre année
pour réellement dénoncer le régime
Le résultat majeur de cette période fut la quasi-totale
destruction de toutes les organisations de masse indépendantes,
y compris les Shoras ouvriers. Arrestations en masse et exécutions
sommaires de milliers de militants connus s’ensuivirent également.
La situation se détériora si rapidement qu’avant le troisième
anniversaire de l’insurrection de Février 1979, aucun des acquis
principaux de la révolution’ n’était resté intact.
Face à ce recul, les opportunistes de toute couleur qui avaient
en fait couvert délibérément ou constamment sous-estimé
le potentiel contre-révolutionnaire du régime religieux et
de ses troupes de choc petites-bourgeoises et qui étaient responsable
de 1’impréparation du mouvement révolutionnaire proclamèrent
que leur erreur principale était d’avoir « surestimé
les capacités » de la classe ouvrière iranienne
9. La ripost : 1982-1983
En Mai 1892, un certain nombre de signes indiquaient une montée
de la résistance des travailleurs face à l’offensive du régime.
Il y eut., par exemple. une augmentation importante du nombre d’actions
revendicatives entre Mai 1982 et Mai 1983 (plus de 35 mouvements de grève
totale, et encore davantage du perlées et d’occupation.
Les formes de protestation avaient. également un caractère
plus militant comparé à 1’ainnèe précédente
où les moyens les plus courants avaient consisté à
envoyer des lettres aux autorités ou à faire signer des pétitions.
D’autre part, beaucoup de nouvel les couches de travailleurs furent entraînées
dans la lutte au cours de cette période.
On peut juger des effets qu’eurent les mouvements de protestation des
travailleurs au fait qu’en Septembre 1982, lors d’une assemblée
de dirigeants d’entreprises réunis pour étudier les problèmes
de l’Industrie Iranienne, il fut reconnu que la moitié de la baisse
de la production était due à des luttes revendicatives; alors
que le reste avait pour cause les problèmes généraux
de la crise économique, la pénurie de matières premières
et la guerre.
Malgré une répression incontestablement plus dure, et
l’intervention des forces armées du régime dans presque tous
les conflits sociaux au cours de cette période, les travailleurs
obtinrent des victoires dans un certain nombre de luttes importantes.
En même temps, les anjomans islamiques connurent une nette baisse
de leur influence. Ils se retrouvèrent très isolés
et perdirent beaucoup de leurs adhérents. Le boycott de toutes les
Institutions Islamiques au sein des entreprises prenait de 1’ampleur.
La plupart des mouvements de contestation furent alors dirigés
contre les tentatives faites pour baisser de différentes manières
les salaires, pour allonger les horaires de travail et pour imposer des
licenciements. Beaucoup de protestations s’élevèrent également
contre les anjomans islamiques et leurs membres.
La première grande grève de cette période éclata
le 17 Mai dans la sidérurgie à Ispahan contre un plan de
licenciement de milliers d’ouvriers du bâtiment. Après deux
jours de grève, malgré les agressions répétées
des nervis du Hizbollah, la direction n’avait pas réussi à
briser la détermination des ouvriers elle a accepté la convocation
d’une assemblée générale de tous les travailleurs.
Lors de cette assemblée, les ouvriers adoptèrent une résolution
exigeant, entre autres, la réorganisation de la direction de l’entreprise,
ainsi que la démission du ministre du travail et du gouverneur de
la province. Le 21 Mai, la télévision régionale dut
consacrer une émission de deux heures à expliquer le plan
du gouvernement et à tenter d’intimider les ouvriers pour qu’ils
reprennent le travail. Le lendemain pourtant, une immense manifestation
à laquelle participèrent de nombreux secteurs de la classe
ouvrière d’Ispahan fut organisée. Des pasdarans armés
s’en prirent violemment aux manifestants dont un grand nombre furent arrêtés.
L’agitation se poursuivit néanmoins jusqu’à ce que le gouvernement
fit forcé de battre en retirer ses projets.
Cette lutte eut un impact très important; sur 1’ensemble de la
lasse ouvrière. A cause de l’ampleur du conflit et de l’incapacité
du régime à empêcher les nouvelles de la lutte à
se propager, cette grève eut un large écho et suscita la
solidarité dans l’ensemble de la classe ouvrière, muselée
depuis longtemps. A la suite de cette grève le nombre de luttes
augmenta très sensiblement.
Les grèves chez Chite Momtaz (textile), Renault, Pars Métal,
Général Motor’s, Gherghereh Ziba (textile), Pars Elektrik,
dans les Chemins de Fer, à la Compagnie des Bus de Téhéran,
les chauffeurs de Taxi de Téhéran, des centres techniques
de la Compagnie Aérienne Nationale, à Shissheh Ghazvin (verrerie)
et Bridgestone, ont compté parmi les plus importantes.
Mais la lutte la plus significative de cette période fut néanmoins
celle qui fut menée contre le projet de loi sur la législation
du travail. Le ministre du Travail, soi-disant Makatabi (intégriste),
annonça le 1er mai 1982 que la nouvelle législation islamique
du travail, promise depuis longtemps, avait déjà été
rédigée et envoyée aux Faghihs (mollahs) pour être
ratifiée.
Khomeiny, Montazéri, et toute une série de mollahs (y
compris ceux de l’Ecole Théologique de Qom) continuaient à
approuver les principes fondamentaux de cette loi. Le projet de loi fut
ensuite discuté par le gouvernement, et fin 1982 on annonça
que la rédaction était prête et se trouvait déjà
devant le parlement. Le gouvernement refusait, cependant, d’en publier
le texte.
Quand, finalement, le contenu du projet de loi fut publié, les
raisons de cette réticence à le rendre public devinrent claires.
Il est, en effet, difficile ci’ imaginer législation plus réactionnaire.
Le seul. but de ce projet de loi était d’encourager et de légaliser
la surexploitation des travailleurs et d’inciter les riches marchands du
Bazar à faire des investissements rent-ables plutôt qu’à
thésauriser et spéculer.
Le capitalisme islamique en Iran signifiait purement et simplement allonger
la journée de travail autant que faire se pouvait, réduire
les salaires au minimum vital, dépenser le moins possible pour l’achat
de machines etc. De toute façon, l’investissement dans de nouvelles
machines était impossible à cause du niveau extrêmement
bas des échanges commerciaux avec l’étranger et du fait que
les capitalistes ne voyaient aucun avantage à long terme.
Afin de faciliter une augmentation des profits et d’encourager ainsi
les capitalistes à investir, les nouvelles propositions devaient
donc autoriser le patron (appelé « propriétaire du
travail ») à « louer les services » des travailleurs
( appelés « accepteurs du travail » ) sur la base d’un
« contrat islamique » passé individuellement entre l’ouvrier
et le capitaliste (toute forme de négociation collective étant
considérée comme non-islamique !).
Les hhh de travail, les salarierais les allocations, l’âge de
la retraite, les pensions, etc., devaient tous être fixés
par ce contrat et absolument aucune garantie légale ( même
pas celles acceptées par la législation du travail sous le
régime du Chah, n’était Prévue car cela était
jugé contraire à l’islam. On Proclamait fièrement
que « dans 1’islam, il n’y a pas de contradiction entre richesse
et pauvreté, mais uniquement entre Islam et Paganisme ». Mais
comme les protestations contre la nouvelle loi s’élevèrent
de toute part, tous les mollahs et leurs serviteurs furent obligés
de ravaler leurs belles paroles quelques mois plus tard. Beaucoup d’anjomans
islamiques furent même contraints de dénoncer publiquement
la Législation Islamique du Travail.
Nombre de pétitions furent signées et envoyées
aux autorités. Dans beaucoup d’usines les ouvriers mirent en place
des commissions pour étudier le projet de loi et dresser une liste
des critiques. Dans beaucoup d’endroits, des dignitaires du régime
durent se rendre dans les usines pour essayer d’expliquer les « vertus
» de la nouvelle loi. La contestation continua cependant à
se développer.
Les ayatollahs les plus populaires, comme Montazéri, qui avaient
tous certifié que le projet de loi correspondait absolument à
l’orthodoxie islamique, furent alors obligés, les uns après
les autres, de dire qu’ils n’étaient pour rien dans l’élaboration
de cette loi. Certains allèrent même jusqu’à dire qu’elle
n’était peut-être pas, après tout, si islamique que
cela. Et le 19 Mars 1983, le gouvernement annonça finalement que
le projet de loi était retiré.
Une fois de plus, les mollahs et leurs amis capitalistes avaient sous-estimé
la force de la classe ouvrière. Un an et demi de massacre ininterrompus
n’avaient pas intimidé les travailleurs au point de pouvoir leur
faire accepter une législation du travail aussi draconienne.
La défaite du Régime Islamique à propos de ce projet
de loi eut d’importants résultats. Non seulement le régime
perdit ce qui lui restait encore de soutien populaire au sein de la classe
ouvrière , mais les ouvriers devinrent eux-mêmes plus confiants
dans leur capacité à résister au régime malgré
la répression.
10. La soulevement de 1983-1985
LA SOULEVEMENT DE 1983-1985
Les conséquences de la défaite du gouvernement sur le
code du travail apparurent clairement au cours des semaines qui précédèrent
le 1er Mai 1983.Bien que le régime des religieux précédèrent
que « le Tout-Puissant lui même est un ouvrier », il
avait refusé de faire du 1er mai un jour férié pour
les travailleurs. Cette année-là cependant les travailleurs
venaient de faire l’expérience des « commissions » qu’ils
avaient organisées pour discuter de la loi sur la législation
du travail. Maintenant, ils continuaient ouvertement et mirent en place
des comités pour le 1er mai. En réaction à sa défaite
sur le Code du Travail et face à cette nouvelle contestation qui
se développait ouvertement, le gouvernement, une fois de plus, intensifia
la répression. Au cours de la deuxième quinzaine du mois,
une nouvelle vague de terreur déferla sur les militants ouvriers
Bien que la répression fut brutale, elle n obtint pas les mêmes
résultats que précédemment. A ce moment-là,
les travailleurs n avaient plus aucune illusion sur la nature réactionnaire
et bourgeoise du Régime Islamique et ses prétendues «
institutions révolutionnaires » telles que le corps d’armée
des Pasdarans ou les anjomans, et après deux années de répression
violente et implacable, ils étaient plus conscients que jamais de
l’importance d’avoir leur propre organisation indépendante. Les
militants ouvriers sortaient de cette période en ayant mis en place
des organisations clandestines dans de nombreuses usines et en ayant appris
des méthodes de lutte plus perfectionnées dans des conditions
de répression féroce. Par exemple, pour empêcher les
représailles contre leurs représentants, les travailleurs
évitaient de plus en plus que les revendications soient présentées
par des militants individuellement. Dès qu’un conflit concernant
la majorité des travailleurs d’une entreprise éclatait, le
cours normal des choses consistait à organiser des assemblées,
qui sont plus difficile à réprimer. Et les ouvriers se sentaient
également plus concernés par les problèmes de représailles
à l’encontre de leurs camarades. Ils organisèrent une aide
financière pour les familles des victimes, et chaque fois que la
possibilité se présentait, ils exigeaient inlassablement
la réintégration des ouvriers victimes de la répression..
Dans un certain nombre de grèves, il est clair qu’un comité
clandestin de militants ouvriers qui dirigeait et organisait les travailleurs,
était à l’initiative des actions menées. Dans quelques
cas, de tels comités ont même fait des déclarations
et des proclamations publiques. Ils ont plus ou moins remplacé les
shoras indépendantes de la période précédente.
Tout comme ces dernières, ils ne se limitent pas à une revendication
ou une forme d’action particulière. Si nécessaire, ils pouvaient
agir en tant que cellules syndicales ou comme comités de grève.
Il y eut ainsi, dans cette période beaucoup plus de grèves
que dans la période précédente (plus de 140 en deux
ans), et beaucoup plus de succès également. La contestation
contre les anjomans islamiques était plus large. Dans la plupart
des usines. les membres des anjomans, y compris leurs compagnons de route
du Parti Toudéh et de 1’ Aksariyat furent complètement boycottés.
Les protestations contre la guerre Iran-Irak et ses conséquences
pour les travailleurs devinrent également un facteur important dans
cette période. En outre, un état d’esprit de révolte
commençait à se développer, ce qui pouvait ouvrir
la voie à une grève générale. On vit également
des grèves et d’autres formes de luttes revendicatives éclater
dans des usines qui avant étaient encore des bastions des forces
favorables au régime et qui étaient donc à 1’arrière
garde de la lutte.
Quelques-unes des luttes les plus significatives du début de
cette période eurent lieu à :
Kontour Sazy-e Ghzvin
(fabriquant de compteurs électriques et à gaz), en Juin 1983
;
Razy (complexe chimique)
en Juin-Juillet 83 ;
Klaj (pièces
détachées pour automobiles) en Juillet 83 ;
Chimiko Farma (produits
chimiques) Août 83 ;
Pars métal
en Septembre-Novembre 83 ;
Fiat Décembre
83 ;
Les manufactures de
Tabac en Décembre 83.
Tidamin (métalliques
et ressorts) en Janvier 84 ;
Madar (textile) en
Janvier 84 :
Général
Plastics en Février 84 ;
Luleh Sazy-e Ahwaz
( tuyaux en acier) en Février 84 ;
Azméyech (appareils
ménagers) en Février 84) :
etc...
Au cours des mois de février et de mars 1984 il y eut une aug-mentation
très nette du nombre de conflits. En plus de l’agitation contre
"le projet de grille de classification des emplois" , il y avait beaucoup
de grèves au sujet des contrats de productivité et des primes
de fin d’années. De telles grèves eurent lieu, par exemple
chez ;
Mazda (automobiles)
;
Shinva( pétrochimie)
;
Nasset (lames de rasoir)
;
Sepehr Elektrtk ;
Iran Yaésa
;
Chit-e Ray (textile)
;
Karoon (agro-industrie)
;
Luleh va Machin Sazy-e
Iran ;
Abyek (cimenterie)
;
etc...
Le jour du 1er mai 1984, eut lieu la grève perlée la plus
étendue depuis de nombreuses années. Comme auparavant, des
comités pour le 1er mai avaient été organisés
en vue de célébrer la Journée des Travailleurs. Dans
beaucoup d’usines quelques jours avant le 1er mai, des proclamations furent
adoptées attaquant le régime parce qu’il refusait de faire
de cette journée un jour férié national.
Une des grèves les plus importantes de cette période se
déroula à l’usine Sassan (boissons non alcoolisées)
en Juillet 1984. La direction avait annoncé qu’à cause de
la guerre, elle ne paierait pas de primes de productivité pour les
mois précédents. Le 15 Juillet, les travailleurs se mirent
en grève. Le 18 Juillet, les Pasdarans occupaient l’usine et arrêtaient
de nombreux ouvriers. Les ouvriers ripostèrent en prenant le représentant
du Procureur de la République en otage. Le lendemain, les pasdarans
prirent d’assaut l’usine en tirant sur les ouvriers, deux ouvriers furent
tués et cinquante autres arrêtés. Mais la grève
continua. Le 24 Juillet, le procureur principal de la République
Islamique se rendit à l’usine pour faire la leçon aux ouvriers
grévistes. Les travailleurs s’attaquèrent à lui, prirent
en otages ses quatre gardes du corps et exigèrent la libération
de leurs camarades. 500 pasdarans attaquèrent les ouvriers, tuant
onze d’entre eux et en arrêtant plus de 300, 1’usine fut fermée
le lendemain. Elle fut réouverte un mois plus tard, mais les services
du Procureur Islamique avaient mis en place une commission d’enquête
à l’intérieur même de l’usine pour rechercher les responsables
des incidents. Le passage à tabac et la torture devinrent une pratique
quotidienne dans les usines et beaucoup d’ouvriers sont aujourd’hui encore
en prison.
La nouvelle de la grève chez Sassan et de 1’importance de la
répression se répandit à beaucoup d’entreprises et
dans quelques usines (aux aciéries Générales et è
Shisheh va Gaz par exemple) il y eut quelques mouvements de solidarité.
Cependant, le résultat le plus significatif de cette grève
fut qu’elle mit en lumière l’opposition grandissante à la
continuation de la guerre au Sein de la classe ouvrière. Beaucoup
de grèves qui eurent lieu en 1984 étaient directement liées
à la protestation contre la guerre. Chez Ghoveh-e Pars (batteries)
.Farsh-e Pars (tapis), Saypa, Jam (chaussures), Barf Kar (textile), Vagon
Sazy-e Pars (wagons), Mina ( verrerie); etc. Il y eut des grèves
totales et des grèves perlées contre la contribution forcée
à la guerre (une à trois journées de paye chaque mois).
Au cours de cette période, il y eut aussi plus de conflits ouverts
et de heurts importants avec les anjomans islamiques, par exemple, les
grèves chez Soviran (produits chimiques), Tolidaru (produits chimiques),
Benz-e Khavar (camions), les Chaussures Melli, Machin Sazy-e Arak (machines-outils),
Gherghereh-r Ziba (textiles), connurent des heurts entre les anjomans et
les travailleurs.
Mais la victoire la plus importante de cette période fut celle
remportée par la grève de plus de deux mille ouvriers de
la construction métallique à 1’ Aciérie d’Ispahan.
La direction qui avait été contrainte de retirer ses plans
de licenciement en 1982, pensait que le moment était maintenant
propice pour imposer son plan une nouvelle fois.
Le 11 Novembre les travailleurs tinrent une assemblée générale
et fixèrent à la direction un délai de quinze jours
pour
qu’elle change d avis. La grève commença le 28 novembre.
Elle eut un impact très important à Ispahan, un bastion des
Hizbollahis. Les autorités mobilisèrent les « familles
des martyrs » (victimes de guerres), les Basidjs et autres forces
pro-gouvernementales pour les dresser contre les grévistes. Mais
rien n’y fit. Le 6 Décembre le gouverneur d’Ispahan parla à
la télévision en menaçant les travailleurs d’une mobilisation
générale des Hizbollahis s’ils n’arrêtaient pas la
grève. Mais la grève continua et chaque jour apportait de
nouveaux signes du courant de sympathie qui grandissait dans le reste de
la classe ouvrière d’Ispahan en faveur de la grève. La solidarité
et la détermination des grévistes obligèrent finalement
la direction à céder le 10 Décembre.
La victoire des sidérurgistes eut une très grande influence
sur la combativité de la classe ouvrière. Dans les quelques
mois qui suivirent jusqu’en mai 1985, il y eut plus de 35 grèves.
Le jour même du 1er mai, il y eut tellement d’arrêts de travail
que le gouvernement céda au milieu de la matinée. Dans ‘la
plupart des entreprises les ouvriers prirent une journée de congé.
Mais le plus significatif était le fait que, pour la première
fois depuis le début de la guerre Iran-Irak, un certain nombre de
mouvements de protestations politiques (sous la forme de courts débrayages
et d’occupations) contre la continuation de la guerre se produisirent.
11. Après la geurre
En juillet 1988, l’Iran accepta avec un an de retard la résolution
598 du conseil de sécurité sur le cessez le feu entre l’Iran
et l’Irak. La situation économique et politique oblige le régime
d'accepter la fin de huit ans de guerre avec l'Irak. Pour venger son humiliation.
il liquidât plus de 10 000 prisonniers politiques en quelques jours,
un acte de barbarisme sans précédent. La terreur noire sévit
le pays. Le pouvoir théocratique renforça ses appareils répressifs
partout, en particulier dans les usines, les centres scolaires, les universités
et les villages, sous forme du conseil islamique du travail (C.I.T.), association
islamique, et la Maison de l’Ouvrier.
En interdisant les organisations syndicales indépendantes, le
régime instaura, dans les lieux de travail, les Conseils Islamiques
du Travail (C.I.T.). Cet organe tripartite (représentant des travailleurs,
du patronat et de l’Etat) est dirigé par « la Maison de l’ouvrier
», le pion du régime. Le C.I.T. est contrôlé
par l’Association Islamique, et par la Savama (Savac du Chah). Le C.I.T.
est enfin soumis aux ordres du Guide suprême « Khamenéi
», le prétendu représentant de Dieu.
Ainsi, ces instruments du régime, qui sont intégrés
dans la structure répressive de l’Etat théocratique, dirigent
les mouvements revendicatifs des travailleurs, dans les lieux de travail,
en vue de les désorienter. En dépit des obstacles anti-ouvriers,
dans les lieux de travail, les travailleurs profitent de ces tribunes pour
exprimer leurs revendications, dans la légalité, tandis que
dans les quartiers populaires, et des grandes villes, les mécontentements
s’expriment vivement, en dehors du contrôle du régime, face
à la répression du régime qui s’appuie essentiellement
sur des milices armées Hizbollah, « Les Pasdarans »,
et les forces armées, appelées « la force anti-émeute
».
Depuis 1991, la situation économique stagnante a pesé
progressivement sur les grandes unités industrielles, en particulier
l’industrie de tissage et de chimie. Nombreuses usines sont fermés
ou en faillite, et les profits importants de l’Etat sont annulés.
Le Ministre de l’intérieur a déclaré: « Si le
gouvernement ne facilite pas l’aide nécessaire aux usines, la production
des industries diminue de moitié ».
La politique de privatisation des entreprises publiques continue et
renforce le chômage. Selon la déclaration du gouvernement,
cette politique va continuer, au cours des prochaines années. Les
efforts du gouvernement d’Iran pour favoriser l’entrée des capitaux
étrangers étaient sans succès pour des raisons d’insécurité.
A la suite de la faillite successive des usines, et la chute de la production,
la politique de licenciement de travailleur du secteur de production a
été annoncée par le gouvernement, comme pilier de
son programme économique. C’était une politique offensive,
sans précédent, contre les travailleurs, depuis 1993, appelée
« la politique d’ajustant ». Cette réforme économique,
menée par l'aile "modérée" du régime incarnée
par l'ex président Rafsanjani, pour répondre aux exigences
de la finance internationale et d'organisations telles le FMI et la Banque
Mondiale, n'ont pas amélioré la situation.
Face à cette politique du régime, les protestations étendues
se ment développées. Les revendications les plus importantes
consistaient à défendre le droit de 1’emploi et empêcher
les licenciements collectifs
Les travailleurs s’organisent sous formes de: rassemblement, pétition,
s’adressant au Ministre du Travail, par l’intermédiaire du C.I.T.,
qui avait une position modérée, grâce à la pression
constante des travailleurs d’une part, et la contradiction au sein du pouvoir,
d’autre part, malgré sa dépendance au pouvoir.
Pour légaliser les licenciements collectifs, à l’encontre
de certains articles du code du travail, les extrémistes faisaient
pression sur le pouvoir, pour changer ces articles en faveur du patronat,
selon un projet l’ampleur du mouvement de protestation des travailleurs
était tellement puissant que les organisations ouvrières
dépendant du régime y participaient forcément.
Ayant peur de la situation explosive du pays, qui était développée,
au cours de ces dernières années, et compte tenu de l’importance
vitale du chômage collectif, qui menace les travailleurs, le régime
annula le projet envisagé, afin de se mettre à l’abri et
trouver une solution modérée, en l’absence d’une organisation
syndicale indépendante.
12. Le mouvement contestataire des ouvriers pétroliers
Malgré la répression du régime islamique, les ouvriers,
comme les autres couches sociales, n’ont pas abandonné leur lutte.
Ils continuent leur combat pour défendre les acquis et les droits
sociaux qui ont été bafoués.
Ainsi, les ouvriers de l’industrie pétrolière d’Iran entrèrent
aussi en lutte. Le mouvement des ouvriers pétroliers fut commencé
par un rassemblement de trois jours à la « Maison de l’Ouvrier
» au mois de Juillet 1996. Leurs revendications concernaient notamment
le refus de la cherté exorbitante et la chute continuelle du pouvoir
d’achat. D’autres revendications furent avancées, la fixation d’un
salaire minimum, l’augmentation de salaire relatif à l’inflation,
le paiement de la part alimentaire, le prêt aide au logement, le
paiement des primes pour les emplois difficiles et dangereux, la classification
de l’emploi et le rétablissement des conventions collectives.
Ensuite, les travailleurs pétroliers se rassemblèrent
devant le bureau central de la compagnie pétrolière à
Téhéran en réclamant la réalisation de leur
revendication. Agazahéh, le ministère du pétrole (énergie),
se présenta devant le rassemblement des ouvriers mécontents,
et promit de leur donner une réponse dans un délai de deux
mois. Quelques mois plus tard, aucune revendication fut retenue. Les ouvriers
se mirent en grève les 18 et 19 Novembre 1996. Ils annoncèrent
le maintien de leur grève en cas de non réponse de la part
des autorités. Malgré la censure, cette grève générale
eut une répercussion importante en Iran.
Les 5 et 6 Février sont très importants dans ce mouvement.
Les travailleurs de cii raffinerie, de la distribution, du gazoduc, de
la Compagnie Nationale du Gaz, de Téhéran, ainsi que Chiraz,
Tabriz et lspahan ont élu leurs délégués et
les ont envoyés à Téhéran pour la création
d’une organisation générale des ouvriers de l’industrie pétrolière.
Le 7 Février 1997, les délégués se réunirent
à Téhéran.
Le régime de la République Islamique qui ne supporte
aucune formation indépendante ouvrière, effrayé de
la fondation d’une organisation dans une zone si sensible envoya ses troupes
répressifs pour disperser la réunion des délégués.
Et pour empêcher une autre, le régime a renvoyé les
délégués dans leurs villes et leur a interdit de la
quitter. C’est ainsi que les réunions qui étaient en fait
l’embryon d’une organisation de l’industrie pétrolière et
les délégués étalent démocratiquement
élus, furent dissoutes.
Cependant, le combat ne s’arrête pas là. Le 16 Février
1997, quelques milliers d’ouvriers du pétrole se rassemblèrent
devant le bureau central de la Compagnie Pétrolière et manifestèrent
pacifiquement avec le slogan « NOUS VOULONS NOS DROITS ». Les
ouvriers du pétrole de tout le pays ont y participé et les
délégués de la raffinerie des villes comme Abadan,
Tarbriz, lspahan et Arak étaient présents. Les ouvriers de
la raffinerie de la ville Irak qui avaient l’intention d’aller massivement
à la manifestation en bus vers Téhéran furent bloqués
par la police.
Avec le rassemblement des pétroliers devant le bureau central
de la Compagnie Pétrolière, toutes les rues alentours furent
envahies par les « Passedarans Islamique ». Ils cernèrent
les ouvriers, qui exigèrent le droit à la revendication,
et les ont surpris avec la matraque et la crosse du fusil, en répondant
par la violence physique. Le régime eut si peur de la répercussion
de ces événements que par le bureau de garde du bâtiment
de la Compagnie Pétrolière, interdit les travailleurs de
la compagnie pétrolière de huit étages de s’approcher
des fenêtres pour ne pas voir la répression brutale des ouvriers
par les « passedarans ». Toutes fois, plusieurs employés
subirent de coups de la part des agents du régime.
Au cours de cette répression, selon les témoignages présent,
et la presse étrangères, telle que « Associated Press
» et « France Presse », quelques 500 ouvriers ont été
arrêtés, transportés par 13 bus vers la prison dans
la ministère de renseignements et de la sécurité.
Dans les jours suivants les agents de la police pénètrent
chez les ouvriers soupçonnés d’être actif dons l’organisation
de ce mouvement dans les villes d’lspahan, Tabriz, Abadan, Chlraz, Ahwaz,
Masjedsoleiman et Aghadjari et les ont arrêtés.
La barbarie et la cruauté du régime ne se limitent pas
seulement à blesser et à emprisonner, mais aussi à
assassiner deux personnes pendant une manifestation pacifique. Hachem KAMELI
52 ans, atteint de la maladie cardiaque sous la torture, et Gholam BARZEGAR,
38 ans, par les coups de la crosse de fusil ont perdu la vue. Ces ouvriers
faisaient partie des arrêtés de la contestation du 16 Février.
Selon les informations, les ouvriers de l’industrie pétrolière
avaient l’intention de se rassembler le 23 Février à Téhéran
devant le bureau central de la Compagnie Pétrolière pour
commander la répression de la manifestation du 16 Février
et la libération de leur camarades, mais les forces d’ordre les
ont empêché en cernant la raffinerie de Téhéran.
A Chiraz aussi les ouvriers de la raffinerie ont défilé,
le 19 Février, de la raffinerie vers le centre ville et par la suite
un rassemblement eut lieu. Ils ont réclamé la libération
immédiate de leurs camarades emprisonnés, ainsi que le rétablissement
de la convention collective et de la reconnaissance de la formation indépendante
et unitaires des ouvriers de l’industrie pétrolière.
Connaissant l’importance stratégique de l’industrie pétrolière
et la crainte du régime de mouvements unitaires des ouvriers de
cette secteur, la commission du pétrole du parlement Islamique a
discrètement organisé des réunions.
Dans le même temps des arrestations des ouvriers du pétrole
dans la ville Sari, 18 délégué ouvriers et plusieurs
délégués de l’usine de sauce tomate et d’industrie
agricole de Khorassan ont été arrêtés.
Ce mouvement des travailleurs iraniens du pétrole est important
dans divers points de vue. L’esprit de ce mouvement relate avant tout la
conscience de la classe d’ouvrières. Ceux-ci savent que sans une
organisation indépendante ils ne peuvent pas obtenir leurs revendications
et leurs acquis. L’expérience leur a montré que les organisations
factices du régime telles que les C.T.I. et la « Maison de
l’ouvrier » sont, pour le régime, des moyens pour contrôler
les travailleurs, canaliser leur mouvement et mettre en sourdine leurs
revendications.
Ce mouvement a également montré que le régime islamique
n’a pu étendre son influence parmi les travailleurs, et que ces
derniers ont pu s’organiser en dépit des injonctions du régime.
Il est certain que cette conscience de classe et de création d’organisation
indépendante n’est pas seulement le fruit de ces derniers mouvements,
mais qu’elle a des traditions anciennes.
Certes, toutes les revendications des travailleurs du pétrole
étaient importantes, mais la lutte pour obtenir des contrats collectifs
et la création d’organisations indépendantes étaient
les événements les plus importants de la lutte de la classe
ouvrière, après la révolution. Ce qui est important
c’est que les ouvriers luttent pour les questions les plus cruciales, voire
stratégiques, à savoir l’établissement des contrats
collectifs et la reconnaissance de leurs organisations.
Selon les statistiques du régime, 80% du revenu des exportations
et 50% du budget de l’Etat sont constitués par l’exportation du
pétrole. Ainsi, le pétrole constitue le fondement de l’économie
et la source financière essentielle de l’Etat. Et toute perturbation
dans la production et l’exportation du pétrole peut saper la stabilité
du régime politique. L’importance stratégique de l’industrie
du pétrole a été constaté lors de la Révolution.
Les dirigeants de l’époque avaient agi avec brutalité aux
revendications, mêmes syndicales, des travailleurs.
Vue cette spécificité, il est à remarquer que la
grève des travailleurs du pétrole ne pouvait pas être
de longue durée, car le régime ne peut supporter aucune perturbation
dans ce secteur. Malgré le fait que les travailleurs du pétrole
n’aient pas atteint toutes leurs revendications, néanmoins ce mouvement
revêt une importance capitale. car était bien organisé,
dans une branche hautement sensible et sous surveillance policière,
et cependant ils ont contribué à changer le contenu des luttes
de la classe ouvrière iranienne, et ont laissé son influence
sur les luttes des travailleurs dans d’autres secteurs.
13. La situation actuelle
La crise économique et politique du Régime Islamique allant
en s’aggravant. toute augmentation du nombre de conflits sociaux aura un
effet déterminant sur la stabilité du régime. rY autant
plus que pour stabiliser l’ordre bourgeois, le gouvernement doit s’attaquer
encore davantage a la classe ouvrière. Il ne fait pas de doute que
1e période à venir’ aura une importance décisive pour
l’avenir du régime.
Beaucoup de signes le montrent déjà. En fait, le mécontentement
général semble se développer et atteindre les limites
de l’explosion. Les plus petits incidents conduisent parfois à des
affrontements importants avec les forces répressives du régime.
De nombreux heurts ont eu lieu dans les quartiers pauvres des villes entre
ces forces et la population à propos de l’approvisionnement en eau
et en électricité ou des conditions de logements. Le Régime
Islamique, qui avait promis le paradis, tente maintenant d’expulser les
pauvres de leurs bidonvilles même.
Et c’est dans ces conditions qu’a lieu une montée des luttes
ouvrières. Si cette tendance continue, il est de plus en plus probable
qu’un mouvement de masse éclate contre le régime. La vague
de terreur déclenchée par le régime a durement touché
le mouvement de masse révolutionnaire. Mais les éventants
le deux dernières années ont montré que ce revers
n’a pas été grave au point d’empêcher une remontée
des luttes de masse. Par exemple le 1er Mai de cette année (1999),
malgré l'interdiction gouvernemental, les ouvriers organisèrent
un rassemblement indépendant et se sont affrontés avec la
police du régime et les groupes paramilitaires.
Le fait que le mouvement ouvrier sorte de cette période avec
une force renouvelée, clairement indiquée par sa capacité
à mettre en place des comités ‘d’usine clandestins et par
sa volonté de s’en prendre au gouvernement et à ses institutions
(telles que les anjomans islamiques) malgré la répression
la plus brutale, montre les grandes possibilités que recèle
la situation actuelle.
Ce régime est arrivé au pouvoir porté par une grève
générale de la classe ouvrière iranienne qui dura
quatre mois et qui fut une insurrection. La situation actuelle peut se
transformer rapidement en une nouvelle grève générale.
Et il faudrait probablement moins de quatre mois pour se débarrasser
du Régime Islamique.
La clé de la situation se trouve dans la classe ouvrière.
Si les comités d’usine arrivent à se développer et
à s’unir pour organiser la lutte actuelle au plan national, il y
a toutes les chances qu’une telle issue devienne réalité.
C’est pourquoi il est vital aujourd’hui que le mouvement ouvrier international
aide par tous les moyens possibles la classe ouvrière iranienne
dans sa lutte contre le régime religieux. Défendre les droits
démocratiques des travailleurs iraniens et organiser la pression
internationale contre le régime iranien peut peser d’un poids important
sur le rapport de forces en Iran et peut jouer un rôle déterminant
dans une période aussi critique.
Défendre les droits des travailleurs iraniens à s’organiser
et à faire grève, exiger la libération de leurs camarades
emprisonnés et organiser des actions de solidarité avec les
luttes en cours, peut avoir des conséquences profondes sur la situation
en Iran, si cela se fait avec vigueur et à grande échelle.
Le régime iranien a tout fait pour montrer qu’il ne tient aucun
compte de l’opinion publique internationale. Néanmoins, ils ne peut
rester complètement sourd aux protestations des forces progressistes
au niveau international. Surtout quand on voit que les gouvernements occidentaux
de droite essayent de soutenir ce régime réactionnaire, il
est d’autant plus évident qu’un tel mouvement de solidarité
peut avoir un poids important.
Le mouvement ouvrier de Grande Bretagne a déjà rendu un
grand service en montrant l’intérêt qu’il porte aux luttes
des travailleurs iraniens et en condamnant le régime islamique.
Le simple fait de savoir qu’une telle solidarité existe est un encouragement
pour tous ceux qui luttent dans des conditions aussi difficiles. Nous devons
faire tout ce qui est possible pour maintenir et développer cette
solidarité.
Nous sommes convaincus que si le mouvement ouvrier et démocratique
français exigeait l’envoi de délégation syndicales
et humanitaires pour se rendre en Iran afin d’enquêter sur la situation
dans le pays, cela permettrait de développer la solidarité
avec le peuple iranien et exercer une forte pression sur ce régime
brutal.
Houshang Sépéhr
Janvier 1999