Inprecor N°
520, 2006-09-10, Politique générale (140 I)
Lire aussi de même auteur
IRAN Ou va la République Islamique d'Iran ? ( 2009-06-29)
IRAN Sur la nature du régime iranien ( 2007-10-20)
IRAN L'ombre de la guerre ou la guerre des ombres ? ( 2006-09-10)
IRAN Fuite en avant du régime iranien ( 2006-09-10)
IRAN Les héritiers de Khomeini affrontent les étudiants ( 2000-01-10)
IRAN
Un
Califat déguisé en République
Houshang Sepehr
La République islamique d'Iran est une construction politique sans pareille. Certes, un certain nombre d'États dans le monde musulman, comme par exemple le Pakistan, les Comores ou la Mauritanie, utilisent aussi le label « République islamique », mais ces républiques, du point de vue des structures du pouvoir, de la nature du régime constitutionnel, des spécificité des élites dirigeantes et même de l'idéologie de l'État, n'ont presque rien de commun avec le modèle iranien. Dans le monde musulman aucun pays n'a connu et ne connaît des structures politiques semblables à celles qui existent en Iran depuis 1979. En fait, la République islamique est un mode de gouvernement dans lequel le pouvoir, censé émaner directement de Dieu, est exercé par ceux qui sont investis de l'autorité religieuse. La théorie du velayat-é-faghi (tutelle du juriste théologien), clé de voûte du système iranien, concept sur lequel repose tout l'édifice institutionnel, est la seule théorie théocratique dans le monde musulman. En même temps, et c'est toute la complexité et le paradoxe du modèle iranien, cette nature théocratique se combine à une dimension républicaine faisant appel à la participation populaire, à un dispositif électoral proche du modèle démocratique. Un réseau d'institutions dont les membres sont nommés et contrôlés par le puissant et conservateur Guide Suprême de la Révolution coexiste ainsi avec un président et un parlement élus.
Autorité religieuse
1. Le Guide Suprême : le véritable chef de l'État est le Guide suprême de la révolution, élu théoriquement par une Assemblée d'Experts de 86 membres religieux, assemblée elle-même élue pour huit ans au suffrage universel direct avec un taux de participation généralement très faible. Le Guide est nommé à vie et ne peut être démis de ses fonctions que dans des circonstances exceptionnelles. Il intervient le plus souvent sur le pouvoir législatif; il domine le pouvoir judiciaire et désigne le chef du système judiciaire. Il désigne également six membres (sur douze) du puissant Conseil des Gardiens de la Révolution, les commandants des forces armées, les imams des prières du vendredi et le directeur de la station de radio et télévision. Il valide aussi l'élection du président. En tant que Guide, il trace les lignes directrices de la politique générale du régime.
2. Le Conseil des Gardiens de la Constitution : placée sous le contrôle des conservateurs, cette institution est l'organe qui exerce le plus d'influence en Iran. Le Conseil est composé de douze membres désignés pour six ans, six théologiens nommés par le Guide Suprême, ainsi que six juristes (généralement aussi des clercs) désignés par les juges et dont la nomination est approuvée par le parlement. Le Conseil doit donner son assentiment aux lois votées par le parlement. Il a le pouvoir d'user de son droit de veto, s'il considère que les lois issues du parlement sont incompatibles avec la Constitution et la loi islamique. Le Conseil peut également empêcher tout candidat de se présenter aux élections législatives et présidentielles, ou de se faire élire à l'Assemblée des experts. Toutes les initiatives en vue de réduire les pouvoirs discrétionnaires du Conseil ont jusqu'ici échoué. Le Conseil avait barré la route à plus d'un millier de candidats à l'élection présidentielle de 2005 dont seulement cinq ont été autorisés à se présenter.
3. Le Conseil de Discernement : ce conseil, crée par un décret de Khomeiny en 1988, comprend une trentaine de membres, tous désignés par le Guide suprême. C'est un organe consultatif qui soumet ses conclusions au Guide Suprême. Cette institution est en même temps habilitée à trancher dans tout litige de nature juridique entre le parlement et le Conseil des Gardiens. Dans certaines circonstances exceptionnelles, le Conseil de discernement peut exercer une fonction législative. En octobre 2005, le Guide Suprême avait donné au Conseil des « attributs de surveillance » pour suivre les activités des autres branches du gouvernement. Le Guide avait, en ce sens, délégué une partie de ses pouvoirs dans les limites de la Constitution.
4. L'Assemblée des Experts : les membres de l'Assemblée des Experts ont pour tâche de nommer le Guide Suprême, de suivre de près ses prestations et de le destituer s'il est jugé inapte à accomplir son devoir. L'Assemblée tient deux sessions ordinaires chaque année. Les élections directes des 86 membres de l'Assemblée sont organisées tous les huit ans. Les prochaines élections sont prévues pour 2007. Les membres sont élus pour un mandat de huit ans. Seuls les religieux sont autorisés à postuler. Les candidatures sont examinées par le Conseil des Gardiens.
5. Le système judiciaire : le système judiciaire iranien n'a jamais été en mesure de se défaire du poids des politiques. Jusqu'au début du siècle dernier, il était sous le contrôle du clergé. Le système avait été, par la suite, sécularisé. Mais après la révolution, la Cour Suprême avait abrogé toutes les lois jugées non conformes à l'Islam. De nouvelles lois, inspirées de la Charia — le code juridique de l'Islam — furent aussitôt introduites. Le système judiciaire garantit que les lois islamiques sont appliquées et définit l'environnement juridique du pays. Le système est également habilité à nommer six membres du Conseil des Gardiens. Le chef du système judiciaire est nommé par le Guide Suprême auquel il rend personnellement compte. Au cours de ces dernières années, les ultra-conservateurs ont utilisé le système judiciaire pour contrer plusieurs réformes. Pour ce faire, ils ont emprisonné des réformateurs et des journalistes, tout en interdisant les publications de journaux du courant rénovateur.
Dimension républicaine
6. Le président est élu pour un mandat de quatre ans. Il ne peut exercer ses fonctions au-delà de deux mandats consécutifs. La Constitution le présente comme la deuxième personnalité du pays. Il est le chef de l'aile exécutive du pouvoir ; à ce titre, il est chargé de garantir l'application de la Constitution. Mais en pratique, les prérogatives du président sont limitées par les religieux et les conservateurs, ainsi que par l'autorité du Guide Suprême. C'est en effet cette figure, et non pas le président, qui contrôle les forces armées et prend les décisions en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère. Les dossiers de candidature à la présidence sont soigneusement examinés par le Conseil des Gardiens. Cette institution s'était opposée à des centaines de candidatures, lors des élections de 2005. Cette année-là, le maire conservateur de Téhéran, Mahmoud Ahmadinejad, a accédé au poste de président, après avoir défait Hachemi Rafsandjani, (qui fut président en 1989-1997), lors du second tour de l'élection. Rafsandjani avait dénoncé « une campagne illégale destinée à [le] discréditer ». Mahmoud Ahmadinejad a remplacé à la présidence Mohammad Khatami, élu en mai 1997, qui n'était pas parvenu à obtenir l'aval du Conseil des Gardiens, pour l'adoption d'importantes réformes. Il s'était heurté à de nombreux obstacles, après la reconquête de la majorité parlementaire par les conservateurs, en 2004.
7. Le Gouvernement : les membres du gouvernement sont nommés par le président. Leur nomination doit être approuvée par le parlement. Cette institution avait rejeté, en 2005, les dossiers de quatre ministres choisis par le président Mahmoud Ahmadinejad. Le parlement est aussi habilité à destituer les ministres. Le Guide Suprême est largement impliqué dans la gestion des affaires liées à la défense, à la sécurité et à la politique étrangère. Le Conseil est placé sous l'autorité du président ou du vice-président qui sont responsables des activités des ministres. Le gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad se distingue par la présence en son sein de deux religieux, de six pasdarans et l'absence totale de femmes.
8. Le Parlement : la République islamique a aussi un Parlement, dont les 290 membres sont élus au suffrage universel par l'ensemble de la population âgée de plus de 15 ans. Pour poser sa candidature à l'élection parlementaire, il faut avoir l'aval du ministère de l'Intérieur, du ministère du Renseignement et surtout du Conseil de gardiens, ou Conseil de surveillance. Le Parlement a le pouvoir d'introduire et de voter des lois, de même qu'il est habilité à convoquer et à destituer les ministres, ou le président. Cependant, toutes les lois adoptées par le Parlement doivent être jugées compatibles à la fois avec la Constitution et surtout avec l'Islam, par le très conservateur Conseil des Gardiens de la Révolution. En définitive, en ce qui concerne le Parlement, le Conseil des Gardiens contrôle, à l'entrée, la validité des candidatures et, à la sortie, la conformité des lois que les parlementaires ont élaborées. Une majorité d'élus dite « réformateurs » avaient fait leur entrée au parlement, en 2000. Il en sera autrement, quatre ans plus tard, en 2004 : bon nombre de candidats réformateurs n'ont pas été autorisés à prendre part aux élections. L'actuel président du Parlement entretient cependant des liens familiaux avec le Guide Suprême, l'Ayatollah Khamenei, dont l'un des fils est marié à sa fille.
Les forces armées
Les forces armées regroupent les Gardiens de la Révolution (Pasdarans) et les forces régulières. Les deux corps sont placés sous un commandement général conjoint. Les principaux chefs des armées et des Gardiens de la Révolution sont nommés par le Guide Suprême et ne rendent compte qu'à cette personnalité. Le corps des Gardiens de la Révolution a été créé après la révolution de 1979, pour protéger les nouveaux dirigeants et les institutions. Ils ont aussi pour mission de combattre ceux qui sont opposés à la révolution. Les Gardiens de la Révolution sont puissamment représentés dans les autres institutions. Ils détiennent le contrôle des miliciens volontaires qui opèrent dans chaque ville.
Ce survol rapide de l'édifice institutionnel du régime islamique d'Iran montre clairement que ce système n'a rien à voir avec une République ou un État légal rationnel moderne. C'est un régime théocratique déguisé sous un masque républicain, c'est-à-dire un « Califat ».
Dans l'immédiat, la bombe iranienne gêne bien davantage le Pakistan et l'Arabie saoudite qu'Israël. Et Jérusalem ainsi que Téhéran partagent tout de même une relation très amicale avec l'Inde (et secondairement avec la Turquie). Si un compromis acceptable peut être trouvé, à chaud, dans la crise, peut-être alors le grand basculement du monde oriental est-il en passe de se réaliser sous nos yeux.
Aujourd'hui, il est certain que régime islamique désire se procurer secrètement la bombe nucléaire comme Israël. Par contre le but du régime iranien n'est pas de détruire Israël comme le camp des va-t-en guerre le prétend. Depuis des années l'Iran a renoncé au mythe de la Révolution islamique dans le monde musulman pour privilégier les intérêts de la classe au pouvoir, la seule préoccupation du régime.
Houshang Sepehr
August 2006
► Houshang Sepehr est un militant marxiste révolutionnaire iranien exilé. Il anime la revue En Défense du marxisme publiée en persan et le Comité de solidarité avec les travailleurs en Iran.
|